Escalade Inde–Pakistan : implications pour la sécurité régionale et européenne face à la fragilisation de l’ordre mondial
- Centre Européen de Sécurité et Stratégie
- 9 mai
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Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS) – Mai 2025

Une nouvelle ligne rouge franchie : le Cachemire redevenu l’épicentre du risque indo-pakistanais
Le 22 avril 2025, dans la vallée de Pahalgam, au cœur du Cachemire indien, une attaque ciblée d’une rare violence a frappé un convoi touristique, provoquant la mort de 26 civils, dont plusieurs femmes et enfants, tous de confession hindoue. L’émotion en Inde a été immédiate et massive, nourrie par des images de terreur rapidement relayées sur les réseaux sociaux et dans les chaînes d’information. Très vite, les autorités indiennes ont attribué la responsabilité à un groupe armé nommé The Resistance Front, considéré par New Delhi comme une émanation de Jaish-e-Mohammed, une organisation islamiste radicale opérant depuis le Pakistan avec, selon l’Inde, une complicité au moins passive des services pakistanais.
Cette attaque est survenue dans un contexte déjà fortement tendu depuis la révocation de l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire par le gouvernement Modi en août 2019. L’Inde a alors imposé un contrôle politique, militaire et numérique étroit sur la région, ce qui a exacerbé le ressentiment des populations locales et accru la visibilité des mouvements séparatistes armés.
Le 7 mai 2025, en réponse à l’attentat de Pahalgam, l’Inde a lancé l’Opération Sindoor, une série de frappes aériennes ciblant neuf installations présumées terroristes sur le territoire pakistanais, notamment dans les provinces du Pendjab et du Khyber Pakhtunkhwa. Selon des sources officielles indiennes citées par The Hindu et NDTV, ces cibles comprenaient des camps d’entraînement, des dépôts logistiques et des centres de commandement. Les pertes humaines du côté pakistanais s’élèveraient à 26 morts, dont des combattants présumés mais également plusieurs civils, selon Dawn et Al Jazeera.
Le gouvernement pakistanais a immédiatement qualifié ces frappes de violation flagrante de sa souveraineté et a annoncé qu’il se réservait le droit de riposter « de manière décisive et proportionnée ». L’armée pakistanaise a placé ses forces en état d’alerte maximale sur la ligne de contrôle (LoC), renforçant les troupes au Cachemire pakistanais et mobilisant son aviation. Le ministre des Affaires étrangères, Jalil Abbas Jilani, a saisi le Conseil de sécurité des Nations unies, accusant l’Inde de tentative de “réécriture de la géopolitique régionale par la force”.
Réactions internationales : entre inquiétude et prudente paralysie diplomatique
Les capitales occidentales, ainsi que Pékin et Moscou, ont rapidement appelé à la désescalade, dans des communiqués qui reflètent autant une volonté de stabilisation que la crainte d’une dérive incontrôlée entre deux puissances nucléaires. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a exprimé sa “profonde inquiétude face à l’escalade des hostilités” et rappelé que “toute confrontation militaire entre l’Inde et le Pakistan comporte des risques inacceptables pour la stabilité régionale et mondiale” (UN News, 8 mai 2025).
L’Union européenne, par la voix de Josep Borrell, a réitéré son attachement à un dialogue bilatéral structuré, tout en condamnant les actes terroristes à l’origine de cette crise. Toutefois, la réalité diplomatique demeure celle d’un désengagement relatif de l’Europe dans les affaires sud-asiatiques, laissant le champ libre à des médiations informelles sino-russes, dont l’efficacité reste incertaine.
La Chine, traditionnel allié du Pakistan, a publié une déclaration mesurée appelant au “calme et à la retenue de toutes les parties”, tout en rappelant son “soutien au droit du Pakistan à se défendre en cas d’agression”. Cette ambiguïté stratégique traduit l’équilibre complexe que Pékin tente de maintenir : préserver ses intérêts économiques croissants en Inde tout en consolidant ses liens militaires avec Islamabad, notamment
Merci. Je poursuis l’analyse avec la troisième partie, qui relie directement la crise Inde–Pakistan aux enjeux européens.
L’écho européen : pourquoi l’Asie du Sud doit interpeller la stratégie sécuritaire de l’Union européenne
Bien que l’Union européenne ne soit ni un acteur direct, ni un médiateur central dans la crise actuelle opposant New Delhi à Islamabad, il serait illusoire de penser que cette escalade, limitée géographiquement à la région himalayenne, n’aura aucune incidence sur la stabilité, la sécurité et les intérêts stratégiques de l’Europe.
1. Risques de déstabilisation du corridor énergétique Indo-Arabe
Une intensification du conflit militaire, en particulier s’il s’étend aux zones proches du détroit d’Ormuz ou aux infrastructures pétrolières de la côte pakistanaise (Gwadar), ferait peser une menace directe sur les flux énergétiques transitant par la mer d’Oman. L’Europe, déjà exposée à une pression énergétique forte du fait de la guerre en Ukraine et des tensions avec la Russie, ne pourrait ignorer une nouvelle fragilisation de ses routes d’approvisionnement depuis le Moyen-Orient et l’Asie centrale.
En ce sens, une escalade Inde–Pakistan affecterait immédiatement la sécurité énergétique européenne, en provoquant une volatilité accrue sur les marchés mondiaux du gaz et du pétrole, aggravant potentiellement la pression inflationniste. La Commission européenne, via la direction générale ENER, a déjà lancé une mission d’évaluation préliminaire sur les scénarios de perturbation logistique affectant les flux transitant par l’Asie du Sud-Est.
2. Réactivation des réseaux extrémistes transnationaux
L’histoire récente a démontré que toute montée en tension militaire en Asie du Sud s’accompagne d’une surmobilisation des réseaux extrémistes, notamment dans les diasporas. En cas de guerre ouverte, les ramifications européennes des mouvances islamistes radicales, particulièrement dans certaines banlieues d’Allemagne, du Royaume-Uni et de France, pourraient être activées pour des actions de propagande, voire des tentatives d’attentats ciblés.
Les services européens de renseignement intérieur (DGSI, BfV, MI5) sont en alerte depuis la diffusion, dès le 8 mai, d’appels à la mobilisation publiés sur des canaux Telegram liés au groupe Lashkar-e-Taiba, appelant à “punir les alliés de l’Inde”. Le risque de cyber-agitation et d’ingérence informationnelle, via des plateformes numériques, est également élevé.
3. Mise à l’épreuve de la posture diplomatique de l’UE
Face à ce type de conflit entre puissances nucléaires régionales, l’Union européenne est confrontée à ses limites structurelles : absence d’une diplomatie de puissance, difficulté à parler d’une seule voix, et faible présence géostratégique en Asie du Sud. Cette faiblesse constitue, au fond, une menace indirecte à sa crédibilité comme acteur global.
Alors que l’Inde multiplie les partenariats bilatéraux en matière de défense avec la France, l’Allemagne et l’Italie, l’UE dans son ensemble reste marginalisée dans les équilibres sécuritaires régionaux. Cette crise pourrait être l’occasion de repenser la place de l’Europe comme puissance normative, mais aussi puissance stratégique contributive dans des régions aussi sensibles que l’Asie du Sud.
Recommandations stratégiques du CESS
À la lumière de cette crise, le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie recommande les mesures suivantes, à court et moyen terme :
1. Renforcement de la capacité de veille diplomatique et sécuritaire en Asie du Sud, notamment via les délégations européennes à New Delhi et Islamabad, avec des cellules de suivi dédiées aux risques de contagion géopolitique.
2. Création d’un “groupe de contact européen pour la stabilité régionale”, mobilisant des diplomates, experts en sécurité et observateurs militaires, afin de proposer une médiation discrète et technique (en matière de gestion des frontières, de prévention des escalades, etc.).
3. Renforcement des dispositifs de lutte contre la radicalisation en Europe, avec une attention particulière aux diasporas pakistanaises et indiennes, souvent instrumentalisées sur les réseaux sociaux pendant les tensions bilatérales.
4. Lancement d’une initiative “Europe–Asie du Sud pour la paix et la sécurité”, en partenariat avec les think tanks indiens, pakistanais et européens, afin d’explorer les leviers de diplomatie de second rang et les mécanismes de désescalade intégrés.
Le miroir cachemiri de l’ordre international fracturé
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À travers le Cachemire, c’est aussi la question de l’interdépendance des vulnérabilités, de la circulation des radicalités, et de la fragilité du droit international qui se joue. En ce sens, la confrontation indo-pakistanaise de mai 2025 est un signal d’alarme que l’Europe ne peut se permettre d’ignorer.
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