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Europe–Afrique : souveraineté numérique et co-sécurité stratégique à l’ère des géants technologiques

Par le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS) Avril 2025


  Il est des moments où les choix technologiques deviennent des choix politiques. Où les câbles, les serveurs, les puces, les systèmes d’IA et les data centers cessent d’être de simples infrastructures pour devenir les piliers silencieux des souverainetés modernes. C’est dans ce contexte qu’émerge une question de fond : l’Europe et l’Afrique veulent-elles construire ensemble une souveraineté numérique concertée, ou rester dans une dépendance fragmentée aux puissances technologiques dominantes ?
L’Afrique a besoin de centre de données pour acquérir sa souveraineté numérique

Il est des moments où les choix technologiques deviennent des choix politiques. Où les câbles, les serveurs, les puces, les systèmes d’IA et les data centers cessent d’être de simples infrastructures pour devenir les piliers silencieux des souverainetés modernes. C’est dans ce contexte qu’émerge une question de fond : l’Europe et l’Afrique veulent-elles construire ensemble une souveraineté numérique concertée, ou rester dans une dépendance fragmentée aux puissances technologiques dominantes ?


La venue à Paris, en juin prochain, du PDG de NVIDIA, Jensen Huang, pour l’ouverture de VivaTech 2025, n’est pas un simple fait d’agenda. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large : celle de la consolidation d’un pouvoir algorithmique mondial entre les mains de quelques géants américains, capables à la fois d’imposer leurs normes, de capter les flux de données planétaires et de structurer les chaînes de valeur critiques. Cette puissance-là — discrète, déterritorialisée, mais redoutablement efficace — redéfinit les rapports Nord-Sud, mais aussi Est-Ouest.


Or, dans cette reconfiguration mondiale, l’Afrique n’est pas seulement spectatrice. Elle est devenue un territoire stratégique pour les infrastructures numériques, les marchés émergents, la formation des intelligences artificielles, et les déploiements technologiques à grande échelle. Ce que certains appellent encore “retard numérique” est, en réalité, une zone de conquête géopolitique. Et l’Europe, si elle veut éviter que cette relation ne soit confisquée par d’autres puissances, doit établir un pacte clair, équitable et durable avec les États africains.


Parmi les figures qui portent cette exigence d’indépendance et de coopération, le ministre congolais Léon-Juste Ibombo joue un rôle précurseur. Depuis plusieurs années, il défend l’idée d’une stratégie africaine intégrée de souveraineté numérique, fondée sur la maîtrise des données, la construction de réseaux souverains, et la formation technologique des nouvelles générations. À travers ses interventions, notamment lors du Salon Osiane à Brazzaville et dans ses échanges avec les partenaires internationaux, il appelle à une diplomatie numérique de rupture, loin des modèles descendus du Nord.


Son approche est lucide : l’Afrique ne doit pas être un terrain d’expérimentation technologique à bas coût, ni un marché captif pour des systèmes conçus ailleurs. Elle doit être partenaire dans la définition des architectures numériques de demain. Cette vision est profondément convergente avec celle du Centre Européen de Sécurité et de Stratégie, qui défend une Europe stratège, non plus seulement régulatrice, mais actrice géopolitique des technologies critiques.


Vers un axe stratégique euro-africain


Il est temps de poser les bases d’un axe stratégique euro-africain autour de la souveraineté numérique et de la résilience informationnelle. Cet axe ne peut reposer uniquement sur la coopération économique ou les discours diplomatiques. Il doit intégrer des composantes précises, coordonnées et ambitieuses :


1. La gouvernance des données : mettre en place une plateforme commune Europe–Afrique pour la gestion et la régulation éthique des données, sur le modèle d’un “RGPD africain” interopérable avec les standards européens.


2. Les infrastructures critiques : créer un consortium bi-continental de souveraineté technologique, impliquant des États, des entreprises publiques et privées, des centres de recherche et des armées, autour des data centers, câbles sous-marins, satellites et clouds souverains.


3. L’IA et les usages stratégiques : favoriser le développement d’intelligences artificielles adaptées aux contextes locaux, notamment pour la cybersécurité, la gestion des crises, les politiques de santé et la stabilité démocratique. L’IA n’est pas neutre. Elle encode des rapports de pouvoir. À nous d’en faire un outil de résilience collective.

4. La co-formation stratégique : lancer une Académie euro-africaine de cybersécurité et de technologies critiques, dédiée à la formation conjointe des futurs cadres numériques, militaires, diplomates et régulateurs.


5. Un forum institutionnel permanent : créer un Forum Europe–Afrique sur la souveraineté numérique et la co-sécurité technologique, coprésidé chaque année par un ministre africain (comme Léon-Juste Ibombo) et un commissaire européen, afin de porter ces sujets dans les grandes enceintes internationales.


Pourquoi ce partenariat est stratégique


Car pendant que l’Europe débat encore de sa dépendance aux GAFAM et que l’Afrique subit les logiques extractives de certaines puissances extérieures, le monde avance. Les États-Unis organisent leur puissance autour d’écosystèmes privés hyperconnectés à leurs intérêts stratégiques. La Chine construit un Internet d’État structuré, à la fois autoritaire et expansionniste. Et l’Europe, si elle reste passive, risque de devenir un acteur marginal, à la fois vulnérable et impuissant.


Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie plaide pour une autre voie. Celle d’une alliance entre continents liés par l’histoire, mais tournés vers un avenir commun, fondé sur la sécurité, la souveraineté partagée, et l’innovation maîtrisée. Cette alliance doit être politique, technologique, et humaine.


Nous ne pouvons pas continuer à penser la souveraineté numérique comme un enjeu de demain. C’est un combat d’aujourd’hui. Et il se joue déjà, à chaque fois qu’un continent hésite, qu’un gouvernement délègue, ou qu’un acteur stratégique reste seul dans le brouillard.


L’Afrique n’est pas un angle mort du numérique. Elle peut en être le cœur battant.


Et l’Europe, si elle en a le courage, peut être son alliée la plus fidèle.

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