L’Europe face à l’empire des puces, ce que révèle la venue de Jensen Huang à Paris
- Centre Européen de Sécurité et Stratégie
- 30 avr.
- 3 min de lecture

Il y a des présences qui ne sont pas anodines. Celle de Jensen Huang, fondateur et patron de NVIDIA, à Paris pour l’édition 2025 de VivaTech, en est une. Ce n’est pas seulement une figure de la tech mondiale qui montera sur scène, mais l’incarnation d’un pouvoir nouveau — un pouvoir algorithmique, technologique, industriel — qui redessine, en silence, les équilibres du monde. Et si cette visite peut paraître flatteuse pour le rayonnement de Paris, elle dit aussi, en creux, une forme de dépossession européenne.
Huang n’est pas venu au sommet sur l’intelligence artificielle organisé par Emmanuel Macron. Il n’a pas souhaité s’asseoir à la table des discussions politiques sur la régulation, ni participer à la mise en scène institutionnelle de la transition numérique. Mais il sera bien là pour VivaTech, grand-messe du progrès technologique et vitrine européenne d’un monde que d’autres façonnent. Ce choix, à lui seul, mérite qu’on s’y attarde : il exprime une hiérarchie implicite entre ceux qui conçoivent les outils et ceux qui les reçoivent ; entre ceux qui dictent les normes et ceux qui tentent de les encadrer.
NVIDIA est aujourd’hui au cœur de tout ce que le XXIe siècle produit de plus stratégique : l’intelligence artificielle, les supercalculateurs, les applications militaires, les interfaces de demain, les capacités de simulation et de traitement du monde. Ce que Google est à l’indexation du savoir, NVIDIA l’est devenu pour la puissance de calcul. Il y a vingt ans, une puce était un composant. Aujourd’hui, elle est une frontière. Un seuil de souveraineté. Un levier de domination.
Et pendant que les États-Unis avancent avec des entreprises qui disposent à elles seules de budgets supérieurs à ceux de nombreux pays, pendant que la Chine construit à marche forcée ses infrastructures d’indépendance numérique, l’Europe continue de chercher sa voie entre régulation, précaution et dépendance. Nous achetons des technologies conçues ailleurs. Nous encadrons ce que nous ne produisons pas. Nous débattons de principes là où d’autres dessinent déjà les règles du jeu.
Cela ne veut pas dire que l’Europe est condamnée à rester spectatrice. Mais cela signifie qu’elle doit choisir. Soit elle assume enfin un cap industriel clair, qui passe par des investissements massifs, une coordination politique ferme et une stratégie de long terme sur les technologies critiques. Soit elle continuera de jouer le rôle du marché modèle, cultivant ses exigences éthiques tout en absorbant des outils conçus pour d’autres intérêts.
Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie plaide pour une bascule. Une Europe qui ne se contente plus d’observer, mais qui agit. Une Europe qui ne regarde plus les conférences de la Silicon Valley comme des oracles, mais qui investit dans ses propres structures de recherche, ses chaînes de fabrication, ses IA souveraines, ses capacités cyber, sa diplomatie technologique. Une Europe qui ne se limite pas à la régulation, mais qui ose la puissance, une puissance civique, démocratique, maîtrisée, mais réelle.
La présence de Jensen Huang à Paris n’est pas un simple événement. C’est un symptôme. Et peut-être aussi un électrochoc. Il ne s’agit pas de s’offusquer qu’il soit là bien au contraire. Il s’agit de comprendre ce que sa venue révèle, et de décider, enfin, si nous voulons continuer à accueillir les géants… ou à les concurrencer.
L’heure n’est plus à commenter l’histoire. Elle est à la reprendre en main.
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