Quand les réseaux sociaux deviennent armes douces : vers une souveraineté cognitive européenne
- Centre Européen de Sécurité et Stratégie
- 27 mars
- 2 min de lecture
L’Europe se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Longtemps perçus comme des outils de communication ou de divertissement, les réseaux sociaux sont désormais devenus des espaces de transformation profonde des consciences, des arènes de confrontation idéologique, et des leviers de manipulation à grande échelle. Ce que nous vivons n’est pas uniquement une crise de désinformation.

C’est une mutation cognitive et civilisationnelle, dans laquelle les plateformes numériques façonnent nos émotions, fragmentent nos communautés politiques, et reconfigurent jusqu’à nos rapports à la vérité.
En ce sens, l’enjeu de souveraineté cognitive doit désormais devenir central dans toute réflexion stratégique européenne. Il ne s’agit plus simplement de contrôler les infrastructures numériques, mais de protéger ce que les réseaux sociaux modifient en profondeur : nos manières de penser, de ressentir et de croire ensemble.
La guerre invisible des affects
Depuis la guerre en Ukraine, l’intelligence artificielle et les stratégies d’influence ont massivement investi les réseaux. Mais l’effet n’est pas toujours brutal : il est insidieux, doux, viral, agissant sur les colères, les indignations, les peurs, les émotions collectives.
La polarisation émotionnelle – mesurée dans notre dernier indicateur – révèle des chiffres alarmants : en France, 76/100 sur l’échelle de polarisation émotionnelle, contre 85 en Hongrie et 80 en Pologne. En parallèle, la confiance dans l’information chute drastiquement : seulement 45/100 en France, et à peine 33/100 en Hongrie.
Nous assistons à une fragmentation cognitive, où chaque citoyen finit par vivre dans une bulle émotionnelle différente, incapable d’écouter ou de dialoguer. C’est une désintégration lente du lien démocratique, qui constitue une vulnérabilité stratégique majeure.
Une souveraineté encore absente
L’Union européenne a bien commencé à réguler les plateformes (DSA, DMA), mais reste passive sur l’impact cognitif de ces outils. Aucun cadre politique clair n’existe pour surveiller, anticiper ou résister aux effets de long terme sur les dynamiques psychologiques et sociales.
Des puissances étrangères comme la Russie ou la Chine ont bien compris que la guerre moderne ne se gagne plus par la force, mais par l’esprit. C’est la “fabrique du doute”, le brouillage des repères, la destruction du consensus social qui deviennent les vraies armes.
Pour une doctrine européenne de résilience cognitive
Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie appelle à un changement de paradigme :
• Il faut penser la souveraineté cognitive au même niveau que la souveraineté militaire ou numérique.
• Il faut créer un Observatoire européen des effets cognitifs des plateformes.
• Il faut intégrer dans la formation scolaire et citoyenne une culture critique des affects numériques.
• Et il faut, à terme, construire une architecture cognitive résiliente, qui protège l’Europe non seulement de l’intrusion extérieure, mais de sa propre désintégration intérieure.
Car une Europe divisée dans ses émotions, incapable de se parler, incapable de faire peuple, est une Europe vulnérable – même sans qu’un seul missile ne tombe.
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