10 septembre, Bloquer pour gagner ? L’illusion française
- Thierry-Paul Valette
- il y a 7 jours
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Le 10 septembre s'annonce comme une nouvelle épreuve de force. Mais derrière l'illusion d'un blocage généralisé, la réalité institutionnelle reprend toujours le dessus. Sans opinion publique solide et stratégie durable, la colère se brise contre la 5e République, concue pour absorber la tempête.

J’ai longtemps cru que pour se faire entendre, il fallait que le pays s’arrête. Que la seule manière de bousculer un pouvoir sourd était de bloquer les routes, les dépôts, les flux. J’ai moi-même prononcé ces mots qui galvanisent : “il faut que ça pète”. Parce que dans la rue, au milieu des colères, on se convainc que le rapport de force peut tout renverser. C’est une mécanique bien connue : plus on répète le slogan, plus on y croit, même si au fond de soi, on devine déjà que cela ne suffira pas.
Je parle en connaissance de cause. J’ai vécu les Gilets jaunes de l’intérieur, les nuits de fatigue, les illusions tenaces, les certitudes criées haut qui se brisent dans le silence des retombées. J’ai cru que le chaos pouvait ouvrir une brèche. Avec le recul, je sais que non. Bloquer un pays ne fait pas tomber un président, et ne change pas une Constitution. Ça laisse des cicatrices, ça abîme les plus fragiles, ça use l’opinion. Et sans opinion publique, aucun mouvement social ne gagne.
Car voilà la vérité froide : la Ve République est conçue pour protéger l’exécutif. Un président ne démissionne pas parce qu’une place est occupée, parce que des routes sont barrées. La Constitution verrouille le système : pas d’élections anticipées, une destitution quasiment impossible à réunir. Macron ne partira pas sous la pression de la rue, pas plus qu’aucun de ses prédécesseurs.
Alors, qu’est-ce qu’on gagne à “tout faire péter” ? On fatigue les corps, on vide les portefeuilles, on épuise les solidarités, et on perd la bataille essentielle : celle de l’opinion. Parce que ce qui fait plier un gouvernement, ce n’est pas le blocage en soi, c’est la majorité silencieuse qui finit par dire : “ça suffit, écoutez-les.” Quand elle bascule dans l’agacement ou le rejet, le mouvement est condamné.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas se battre. Je dis qu’il faut le faire autrement. Transformer la colère en propositions claires, compréhensibles, qui tiennent debout face à un budget, à une loi, à une échéance électorale. Organiser la rue pour qu’elle ne se dévore pas elle-même, mais qu’elle nourrisse un projet crédible. Articuler le terrain, les syndicats, les collectifs, les élus. Construire des revendications qui peuvent vivre dans les institutions, pas seulement sur un rond-point.
Le problème n’est pas de dire “Macron doit partir” : il ne partira pas. Le problème est de savoir ce qui peut changer demain, concrètement, pour améliorer la vie des gens. Ce n’est pas moins radical, au contraire. C’est refuser de s’épuiser dans des batailles sans issue, et préférer des victoires partielles mais réelles.
Je sais ce que la rue apporte : de la dignité, de la force, une fierté de se tenir debout. Mais je sais aussi ce qu’elle coûte quand elle s’enferme dans l’illusion du grand soir. On ne gagne pas une République avec des slogans, on la gagne avec de la stratégie.
C’est dur de le reconnaître, parce qu’on a besoin de croire au pouvoir immédiat de la colère. Mais le courage politique, aujourd’hui, ce n’est pas de promettre l’impossible, c’est de dire la vérité : sans débouché institutionnel, tout ce qu’on “fait péter” ne laisse derrière soi que des débris.
Thierry-Paul Valette
Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS)
Actif dans les travaux européens sur la résilience démocratique
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