top of page

Cybersécurité spatiale : une nouvelle frontière stratégique pour l’Europe

Analyse stratégique – Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS)

Mai 2025

Les services polonais de cybersécurité ont détecté un “accès non autorisé” dans l'infrastructure informatique de l'agence spatiale du pays. Plus de trois jours après l'incident, son site Internet reste toujours inaccessible.
L'Agence spatiale polonaise victime d'une cyberattaque, ses systèmes toujours hors ligne

L’espace, nouveau théâtre des menaces cybernétiques


L’accélération de la numérisation de l’espace, à travers la multiplication des satellites, des drones autonomes et des infrastructures spatiales connectées, a redéfini les équilibres stratégiques mondiaux. Longtemps perçu comme un domaine réservé aux grandes puissances étatiques, l’espace est désormais investi par des acteurs privés, des consortiums européens et des puissances émergentes, dans une logique de compétition économique, technologique et militaire.


Cette évolution s’accompagne d’une vulnérabilité croissante : les systèmes spatiaux sont devenus des cibles privilégiées des cyberattaques, qu’il s’agisse de sabotage, d’espionnage, ou d’interruption des communications critiques.


À ce titre, la cybersécurité spatiale s’impose aujourd’hui comme un enjeu prioritaire pour la souveraineté numérique européenne, au croisement des politiques de défense, d’innovation et de résilience technologique.


L’extension des cybermenaces aux systèmes spatiaux : état des lieux


Les récentes années ont été marquées par une série d’incidents montrant la montée en intensité et en sophistication des cyberattaques contre les infrastructures spatiales.


En mars 2025, l’Agence spatiale polonaise (POLSA) a été victime d’un accès illégal à ses systèmes informatiques, détecté par les services de cybersécurité nationaux. Cette tentative d’intrusion, non revendiquée, visait les infrastructures de communication et de contrôle des satellites, démontrant que même les agences spatiales de taille moyenne sont devenues des cibles à haut risque¹.


Parallèlement, le rapport annuel du Center for Strategic & International Studies (CSIS) souligne que la multiplication des satellites en orbite basse, combinée à l’interopérabilité croissante des systèmes civils et militaires, rend de plus en plus difficile le repérage et l’attribution des cyberattaques contre les actifs spatiaux².


Les satellites ne sont plus des plateformes isolées : ils sont devenus des nœuds d’un réseau global de transmission de données, dont l’intégrité est essentielle à la navigation, à la surveillance environnementale, à la défense et aux communications critiques.



Des initiatives industrielles souveraines : l’exemple de SEALSQ


Face à cette menace croissante, certains acteurs européens ont pris l’initiative de développer des solutions embarquées de cybersécurité avancée, adaptées aux exigences du domaine spatial.


C’est le cas de SEALSQ Corp, entreprise suisse spécialisée dans les microcontrôleurs sécurisés. En 2025, elle a annoncé l’intégration de ses modules certifiés FIPS 140-2 dans plusieurs drones utilisés pour des missions de défense, en partenariat avec Parrot (France) et AgEagle (USA). Ces composants permettent de protéger les canaux de communication, d’assurer l’authentification des systèmes et de résister aux tentatives d’interception ou de falsification des données³.


Plus ambitieux encore : en collaboration avec WISeSat, SEALSQ participera dès juin 2025 au lancement d’une constellation de picosatellites IoT, opérant avec des modules de communication chiffrée, conçus pour garantir l’intégrité des transmissions de données entre objets connectés et bases terrestres.


Le lancement sera opéré par SpaceX, et intègrera également la monnaie cryptographique SEALCOIN, offrant une couche de transaction sécurisée pour des services satellitaires à distance⁴.


Ces innovations confirment la possibilité de développer des filières européennes souveraines, tant au niveau matériel (puces, capteurs) que logiciel (cryptographie post-quantique, firmware de sécurité).



Vers une doctrine européenne de cybersécurité spatiale


L’Europe commence à structurer sa réponse. Le projet IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite), lancé par la Commission européenne, vise à déployer une constellation de 290 satellites sécurisés d’ici 2027, pour garantir une connectivité stratégique indépendante et protégée.


Ce projet, doté d’un budget de plus de 10 milliards d’euros, ambitionne de fournir des services gouvernementaux sécurisés, notamment pour les communications critiques, les missions de gestion de crise et la surveillance des frontières⁵.


En parallèle, des projets comme Cyber Space Simulation (CSS), mené par le groupe RHEA et l’IRT Saint Exupéry, visent à développer des plateformes de simulation de menaces et de détection avancée, permettant de modéliser les scénarios d’attaque dans l’environnement spatial et de concevoir des contre-mesures automatisées⁶.


Cependant, ces initiatives restent dispersées. L’Union européenne ne dispose pas encore d’une doctrine unifiée de cybersécurité spatiale, intégrant les enjeux de défense, les normes industrielles, les exigences civiles et la formation des personnels. Ce vide stratégique laisse le champ libre aux puissances extérieures — Chine, Russie, États-Unis — qui investissent massivement dans la sécurisation de leurs propres constellations.



Conclusion : souveraineté orbitale et souveraineté numérique


L’espace est désormais un prolongement numérique des infrastructures terrestres. Les satellites ne sont plus de simples outils de positionnement ou de communication ; ils sont des éléments critiques de la souveraineté stratégique européenne. Leur compromission peut avoir des effets en cascade sur la défense, la logistique, l’économie, la santé, et la gestion des crises.


Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie estime que la cybersécurité spatiale doit devenir un pilier de la stratégie industrielle et sécuritaire de l’Union, et que des partenariats publics-privés doivent être renforcés pour garantir l’autonomie, la fiabilité et la résilience des systèmes spatiaux européens.


Repenser la souveraineté numérique, c’est aussi sécuriser nos orbites.



Sources :


¹ Reuters, Cyberattack detected at Polish Space Agency, mars 2025.

² CSIS, Space Threat Assessment 2025, avril 2025.

³ SEALSQ, Advanced Cybersecurity Solutions for Drone and Satellite Communications, mai 2025 (via GlobeNewswire).

⁴ WISeSat, Satellite Launch and IoT Encryption Infrastructure, mai 2025.

⁵ Commission européenne, IRIS² – Official EU programme page, 2024.

⁶ IRT Saint Exupéry & RHEA Group, CSS – Cyber Space Simulation Project, communiqué technique, février 2025.


Comments


bottom of page