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Emmanuel Macron à Tirana : une alerte stratégique que l’Europe ne doit plus ignorer

Article stratégique – Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS)

Par Thierry-Paul Valette – Fondateur


Le 15 mai 2025, à Tirana, lors du sommet de haut niveau entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux, le président français Emmanuel Macron a prononcé une phrase que peu de médias ont relevée, mais qui résonne avec force pour les stratèges et les analystes de sécurité
Le Président Emmanuel Macron s’est rendu en Albanie les 16 et 17 octobre 2023 pour une visite officielle. Une visite historique, puisqu’il s’est agi de la première visite bilatérale d’un Président français depuis l’indépendance de l’Albanie en 1912.


Une déclaration passée inaperçue, mais géopolitiquement centrale


Le 15 mai 2025, à Tirana, lors du sommet de haut niveau entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux, le président français Emmanuel Macron a prononcé une phrase que peu de médias ont relevée, mais qui résonne avec force pour les stratèges et les analystes de sécurité :


« Nous devons prendre conscience que les puissances étrangères s’ingèrent dans nos démocraties, notamment en Moldavie et dans les Balkans. Ce sont des guerres invisibles, mais bien réelles. »


Cette déclaration intervient dans un contexte de surenchère informationnelle et de fragilisation démocratique, où l’ingérence étrangère ne se limite plus à de simples opérations de propagande ponctuelles, mais prend la forme d’une guerre hybride systémique, visant la cohésion des États, la confiance civique, et les processus électoraux eux-mêmes.


À Tirana, la France rappelle donc que l’Europe ne sera pas souveraine si elle n’est pas lucide. La Moldavie, citée nommément, et les Balkans, désignés comme cibles de cette guerre de l’ombre, deviennent des terrains d’observation stratégique.



La Moldavie : une ligne de front européenne


Depuis plusieurs mois, la Moldavie est au cœur d’une campagne d’ingérence massive, orchestrée principalement par des relais russes. En avril 2024 déjà, le rapport du European External Action Service (EEAS) alertait sur la diffusion de récits prorusses à grande échelle via des chaînes Telegram, des pages Facebook et des comptes automatisés, visant à saper la confiance dans les institutions moldaves.


Selon les données du EU DisinfoLab, entre janvier et avril 2025, plus de 18 000 contenus hostiles à l’adhésion européenne de la Moldavie ont été repérés et catégorisés comme désinformation. Les thèmes récurrents sont : “l’Europe veut coloniser la Moldavie”, “Bruxelles impose des normes destructrices”, ou encore “la neutralité moldave est menacée par l’OTAN”.


Les relais sont multiples : médias comme Sputnik, plateformes sociales peu modérées comme VK, et réseaux d’influence religieuse pro-Moscou. Les objectifs sont clairs :

• affaiblir la cohésion intérieure moldave ;

• ralentir son processus d’adhésion à l’UE ;

• renforcer l’idée d’un monde multipolaire où l’Europe serait illégitime.



Les Balkans occidentaux : une cible stratégique sous tension


L’Albanie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine du Nord sont régulièrement désignées par la Commission européenne comme zones de vulnérabilité hybride. Dans son rapport annuel de 2024, le StratCom Task Force de l’UE indiquait que plus de 70 % des jeunes serbes et bosniens déclaraient avoir été exposés à des contenus à forte teneur anti-européenne ou conspirationniste au cours des six derniers mois.


Les Balkans sont un terrain de compétition d’influences : la Russie y projette ses récits nostalgiques et identitaires, la Chine y impose ses narratifs techno-économiques via les infrastructures de la “Route de la soie numérique”, et la Turquie y joue la carte religieuse et culturelle.


L’Albanie, pays historiquement pro-européen, fait figure de bastion fragile mais essentiel. C’est dans ce contexte que Macron choisit Tirana pour rappeler à l’UE sa responsabilité : protéger les frontières invisibles de l’Europe, celles des récits, de la perception, de la mémoire collective.



L’Europe stratégique : lucidité, doctrine, action


Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS) soutient pleinement l’alerte lancée par le président Macron, mais considère qu’elle doit s’accompagner de mesures concrètes et cohérentes à l’échelle continentale.


Les États européens doivent désormais :

• considérer l’ingérence étrangère comme un sujet de souveraineté,

• renforcer la coordination entre plateformes, institutions et services civils,

• donner aux think tanks et aux structures civiques les moyens d’agir, d’analyser, d’alerter.


Il ne suffit plus de dénoncer les campagnes de désinformation. Il faut :

• les cartographier (comme le fait le CESS via son Baromètre trimestriel de l’ingérence),

• les désamorcer publiquement, en mobilisant les médias et les éducateurs,

• et surtout les neutraliser en amont, par des accords européens contraignants avec les géants numériques et les pays d’origine des campagnes.



La Moldavie et l’Albanie comme tests pour l’Europe


Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la stabilité d’États candidats. C’est la capacité de l’Union européenne à affirmer un pouvoir normatif et protecteur dans un monde d’influences croisées.


En s’attaquant à la Moldavie et aux Balkans, les puissances étrangères testent :

• notre vitesse de réaction,

• notre cohérence géopolitique,

• notre solidarité démocratique.


La Moldavie doit bénéficier d’un bouclier de résilience informationnelle, tout comme les pays des Balkans doivent être accompagnés non seulement sur le plan institutionnel, mais aussi dans la défense de leurs récits et de leurs imaginaires collectifs.



Ce que le CESS propose à court terme


Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie propose cinq actions prioritaires, à mettre en œuvre immédiatement :

1. Créer un observatoire paneuropéen des ingérences hybrides, en lien avec les think tanks indépendants.

2. Renforcer la coopération UE–OTAN sur la guerre cognitive, avec une doctrine commune et des exercices de simulation.

3. Établir un mécanisme d’alerte rapide pour les campagnes de désinformation électorale.

4. Déployer des attachés “résilience stratégique” dans les délégations européennes dans les pays candidats.

5. Financer et valoriser les initiatives civiques de veille, d’éducation aux médias et de contre-narration.


Tirana comme signal d’alarme stratégique


La déclaration d’Emmanuel Macron à Tirana doit être vue comme un point d’inflexion dans la doctrine européenne : l’Europe ne peut plus être passive face aux puissances qui exploitent ses fractures pour affaiblir son projet.


À l’ère de la guerre informationnelle, défendre les démocraties, c’est aussi défendre les récits, les symboles, et les alliances.


Le CESS continuera de documenter, d’alerter et de proposer.

Parce que résister aux ingérences, c’est déjà construire l’Europe stratégique de demain.

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