Jeunesses sous influence : Fake news, ingérences étrangères et dérives informationnelles sur les réseaux sociaux
- Centre Européen de Sécurité et Stratégie
- 8 août
- 22 min de lecture
Étude stratégique du Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS), Aout 2025
Préambule
À mesure que le monde se recompose autour d’axes de puissance de plus en plus clivés, que les frontières entre guerre, influence et communication s’estompent, l’espace informationnel s’est transformé en théâtre central des affrontements contemporains. La guerre ne se mène plus seulement avec des chars, des drones ou des sanctions économiques. Elle se mène, chaque jour, à travers des récits, des images, des vidéos, des posts viraux, des hashtags et des algorithmes. Et dans cette guerre silencieuse, pernicieuse, non déclarée, les jeunesses européennes, hyperconnectées, fragmentées, en quête de sens et de repères, apparaissent comme la cible privilégiée des stratégies d’influence développées par des puissances étrangères hostiles. Ce n’est pas une guerre d’opinion, c’est une guerre d’imprégnation, où les récits s’infiltrent par la distraction, par la séduction, par l’émotion, souvent à l’insu même de ceux qui les propagent.
Depuis plusieurs années, l’architecture informationnelle des sociétés occidentales est soumise à des perturbations continues, souvent invisibles, parfois niées, mais toujours agissantes. Le désordre algorithmique, couplé à une circulation mondialisée et non hiérarchisée des contenus, a rendu possible une forme d’influence étrangère à bas coût, à haut rendement, sans risque militaire, mais à très fort impact sociétal. Ce que l’on appelle communément les fake news ne sont pas de simples contre-vérités diffusées de manière artisanale. Elles s’inscrivent dans des logiques plus larges, instrumentalisées par des acteurs dotés d’objectifs politiques, géopolitiques ou idéologiques, qui utilisent les réseaux sociaux comme vecteurs de confusion, de polarisation et de rupture.
Dans cette configuration, la jeunesse européenne constitue une zone stratégique, à la fois parce qu’elle est massivement présente sur les plateformes numériques, mais aussi parce qu’elle est structurellement exposée à des vulnérabilités spécifiques : défiance à l’égard des institutions, éloignement des médias traditionnels, appétence pour les formats courts, émotionnels et viraux, perte de repères dans un monde en mutation accélérée. La cible n’est pas seulement sociologique, elle est psychologique, culturelle, symbolique. Il s’agit non seulement d’influencer ce que les jeunes pensent, mais de perturber les conditions mêmes dans lesquelles ils pensent : leur accès à la complexité, leur capacité à trier, à douter, à s’extraire de l’immédiateté émotionnelle pour construire une opinion fondée. C’est là que se joue une part essentielle de la souveraineté cognitive européenne.
Or, depuis les premières campagnes de désinformation massives documentées lors du Brexit ou de l’élection de Donald Trump, jusqu’aux opérations hybrides menées par la Russie lors de la guerre en Ukraine, en passant par les manipulations ciblées sur la pandémie, les émeutes sociales ou les tensions identitaires, la capacité d’influence étrangère s’est professionnalisée, densifiée, sophistiquée. Des réseaux structurés, parfois pilotés directement par des organes étatiques, diffusent à grande échelle des contenus falsifiés, biaisés, ou simplement orientés, en exploitant les failles des plateformes et les fragilités sociales internes. Ils instrumentalisent des figures d’influence, des récits victimaires, des peurs identitaires, des fractures mémorielles. Ils activent des communautés, manipulent des tendances, fabriquent de faux consensus, et nourrissent un climat de méfiance généralisée envers tout ce qui relève de l’État, de l’Europe, du journalisme ou de la science.
Les plateformes, quant à elles, bien qu’alertées depuis plusieurs années, peinent à développer des mécanismes de régulation réellement efficaces. Soumises à des logiques économiques fondées sur l’attention et la viralité, elles favorisent mécaniquement les contenus les plus clivants, les plus simplistes, les plus outrageants, au détriment des contenus modérés, nuancés, ou éducatifs. Et les dispositifs de modération humaine ou algorithmique, souvent sous-dimensionnés, tardifs, ou politiquement sensibles, n’offrent qu’une réponse partielle, voire cosmétique, à l’ampleur du phénomène.
Dans ce paysage dérégulé, la jeunesse, loin d’être simplement une victime passive, devient aussi un relai involontaire de ces logiques. Elle partage, commente, réagit, amplifie. Elle devient, sans toujours en avoir conscience, l’un des vecteurs de la désinformation. L’impact ne se mesure pas uniquement en nombre de vues ou de clics, mais en transformation lente des représentations collectives : les élites deviennent des cibles, l’Europe une fiction bureaucratique, la démocratie un mensonge organisé, la vérité un point de vue comme un autre. Cette relativisation massive du réel crée les conditions d’un désengagement civique, d’une rupture avec la mémoire démocratique, et parfois d’une radicalisation insidieuse, nourrie par le cynisme et l’isolement.
Face à cela, les réponses publiques demeurent encore trop fragmentées, trop techniques ou trop tardives. Les stratégies de résilience démocratique doivent désormais intégrer pleinement cette dimension générationnelle et informationnelle. Il ne suffit plus de dénoncer les opérations d’influence : il faut les comprendre, les cartographier, les anticiper. Il ne suffit plus de prôner l’esprit critique : il faut investir massivement dans une nouvelle éducation aux médias, aux images, aux émotions, adaptée aux codes de la jeunesse. Il ne suffit plus de réguler les plateformes : il faut proposer une véritable souveraineté numérique européenne, fondée sur la transparence algorithmique, la sécurité des données, et la protection cognitive des citoyens.
C’est dans cette perspective que s’inscrit la présente étude du Centre Européen de Sécurité et de Stratégie. Elle a pour ambition d’analyser les mécanismes d’influence qui ciblent aujourd’hui les jeunes européens, d’en décomposer les logiques, d’en mesurer les effets, et de proposer des orientations stratégiques concrètes pour y faire face. Ce travail repose sur une approche interdisciplinaire, mêlant analyse géopolitique, sociologie des usages numériques, psychologie sociale, et étude des dynamiques de l’influence informationnelle. Il s’adresse aux décideurs publics, aux acteurs de l’éducation, aux plateformes, mais aussi, plus largement, à tous ceux qui comprennent que la bataille qui se joue aujourd’hui dans les esprits des jeunes déterminera en grande partie le visage politique, culturel et démocratique de l’Europe de demain.
Car protéger la jeunesse, ce n’est pas la surveiller, ni la contrôler. C’est lui donner les moyens de comprendre le monde dans lequel elle vit, de déjouer les pièges de la manipulation, de résister aux tentations du repli et de l’indifférence. C’est faire le pari de l’intelligence, de la mémoire, de la lucidité. Et c’est, plus profondément encore, reconnaître que la souveraineté ne se mesure pas seulement en kilomètres carrés, mais aussi en capacité à faire vivre une parole libre, informée, éclairée, au sein de générations qui n’ont connu que l’ère du flux permanent.

PARTIE I — LE NOUVEL ÉCOSYSTÈME INFORMATIONNEL : DÉSORDRE ALGORITHMIQUE, VIRALITÉ ET INFLUENCE
Le basculement informationnel que connaît notre époque n’a pas seulement modifié les supports de diffusion, il a bouleversé la nature même de ce que nous appelons “information”. Loin de se résumer à une mutation technologique, la transformation des écosystèmes médiatiques constitue un changement de paradigme profond, affectant à la fois les modalités d’accès au réel, les formes de narration dominantes, les temporalités du débat public, et les hiérarchies traditionnelles du savoir. Dans ce nouvel ordre informationnel, ou plutôt dans ce désordre permanent organisé autour de logiques d’attention et de performance algorithmique, les contenus ne sont plus hiérarchisés selon des critères de véracité ou de pertinence, mais selon leur capacité à capter, mobiliser, perturber. Il ne s’agit plus de comprendre le monde, mais de produire des réactions ; non plus d’informer durablement, mais d’émouvoir instantanément ; non plus de transmettre des repères communs, mais de segmenter les individus dans des sphères de contenus personnalisés, imperméables les unes aux autres.
Ce changement radical s’est opéré en moins de deux décennies. Là où les générations précédentes évoluaient dans un environnement médiatique structuré par quelques grands journaux, chaînes de télévision et radios publiques, les jeunes d’aujourd’hui grandissent dans un univers où chaque individu devient producteur, diffuseur et commentateur, sans filtre ni formation, et où les frontières entre vérité, opinion, fiction et propagande sont rendues floues par l’horizontalité des échanges et l’instantanéité des publications. Cette désintermédiation, parfois saluée comme une avancée démocratique, a aussi ouvert la voie à une instabilité cognitive profonde, à une guerre de tous contre tous sur le terrain de l’interprétation, et à une vulnérabilité structurelle face aux tentatives d’influence organisées.
Les plateformes sociales, qui se sont imposées comme les carrefours incontournables de cette nouvelle économie de l’attention, sont au cœur de ce désordre. Elles ne se contentent pas d’héberger des contenus : elles les trient, les recommandent, les amplifient, les invisibilisent, les modèlent selon des logiques opaques, fondées sur des algorithmes conçus pour maximiser l’engagement, la rétention, la monétisation. Cette architecture technique, loin d’être neutre, conditionne en profondeur la manière dont l’information circule, dont les croyances se forment, et dont les esprits se politisent ou se radicalisent. Les contenus les plus visibles ne sont pas les plus justes, mais les plus saillants. Les vidéos les plus vues ne sont pas celles qui éclairent, mais celles qui dérangent, qui choquent, qui confirment des émotions préexistantes. Ce mécanisme d’amplification sélective, couplé à la personnalisation algorithmique, enferme les utilisateurs dans des bulles de perception qui renforcent leurs biais cognitifs et limitent l’exposition à la contradiction.
Pour les jeunes, qui passent plusieurs heures par jour sur ces plateformes, souvent dès l’adolescence, cet environnement constitue la matrice principale de leur rapport au monde. Il ne s’agit plus d’un média parmi d’autres : il est devenu l’espace total où se jouent l’information, le divertissement, l’appartenance sociale, la construction identitaire, l’engagement politique. Ce continuum, où le clip musical précède une vidéo humoristique, suivie d’un extrait de débat politique ou d’un contenu conspirationniste habilement mis en scène, crée une confusion permanente entre les registres de langage, les niveaux de véracité, les intentions des auteurs. Et cette confusion est d’autant plus puissante qu’elle épouse les codes de l’instantané, du fragment, de l’émotion, et qu’elle s’inscrit dans une logique de flux permanent, où rien ne dure, où tout se remplace sans mémoire ni hiérarchie.
Cette situation a été largement documentée par les chercheurs en sciences sociales, en particulier depuis le tournant de 2016 et les premières grandes alertes internationales sur les ingérences étrangères dans les processus électoraux occidentaux. Les études menées en Europe, en Amérique du Nord et en Asie montrent que les jeunes adultes, notamment les 15–25 ans, sont plus exposés que les autres catégories d’âge aux fake news, aux contenus manipulés ou orientés, et qu’ils rencontrent plus de difficultés à en identifier les origines, à en mesurer les biais, à en distinguer la portée symbolique ou idéologique. Plusieurs facteurs expliquent cette vulnérabilité : une défiance généralisée envers les médias dits “mainstream”, une surconsommation de formats visuels décontextualisés, un accès partiel ou erratique à la culture politique, une tendance à privilégier les discours émotionnels aux raisonnements argumentés.
Ce terreau instable est idéal pour les acteurs de l’ingérence informationnelle. Car là où la logique traditionnelle de propagande nécessitait des relais étatiques, des médias captifs, des discours coordonnés, la nouvelle influence numérique s’insère dans l’infrastructure même des réseaux sociaux, sans visibilité directe, sans besoin de légitimation formelle. Elle joue sur les émotions collectives, sur les crises sociales ou sanitaires, sur les tensions identitaires, sur les fractures historiques non résolues. Elle produit des narratifs prêts à l’emploi, simples, percutants, souvent victimaires ou complotistes, qui trouvent un écho rapide dans une jeunesse en quête de repères et de justice symbolique. Ce n’est pas une propagande explicite : c’est une imprégnation diffuse, un climat cognitif toxique qui façonne progressivement les représentations, les réflexes, les rejets.
Dans ce désordre, les plateformes, loin d’être des victimes, sont souvent complices par passivité ou par calcul économique. Leurs modèles reposent sur l’engagement maximal, et donc sur la viralité des contenus, quels qu’ils soient. Les discours de haine, de désinformation ou de polarisation génèrent plus d’interactions que les analyses pondérées. Et les campagnes d’influence étrangères exploitent ces failles structurelles avec une efficacité croissante. Certaines exploitent les tendances musicales ou humoristiques pour insérer des messages politiques. D’autres créent de faux comptes d’influenceurs pour orienter subtilement les opinions sur des sujets géopolitiques sensibles. D’autres encore infiltrent des groupes d’intérêt (écologistes, communautaires, identitaires) pour en radicaliser les expressions. L’objectif n’est pas de convaincre massivement, mais de diviser, de semer le doute, de saturer l’espace d’interprétations contradictoires, de rendre impossible tout consensus commun.
Ce nouvel écosystème, que l’on pourrait qualifier d’architecture d’influence intégrée, repose donc sur une alliance inédite entre infrastructures techniques, logiques économiques et stratégies de déstabilisation. Et tant que l’on continuera à penser la question de la désinformation comme un simple problème de contenu — à modérer, signaler ou censurer — sans interroger les fondements même de ce système, on passera à côté de l’enjeu véritable : la refondation d’un espace public numérique capable de garantir un minimum de vérité partagée, de débat argumenté, et de protection cognitive des citoyens les plus exposés.
C’est à cette condition seulement que la jeunesse européenne pourra se réapproprier son rapport à l’information, non pas dans une logique de méfiance systématique, mais dans une dynamique de lucidité, de discernement et d’exigence. Car la souveraineté d’une génération se joue aussi, et peut-être surtout, dans sa capacité à distinguer le vrai du vraisemblable, l’analyse de l’opinion, le récit légitime de la manipulation stratégique.
PARTIE II — JEUNESSE ET VULNÉRABILITÉ COGNITIVE : UNE CIBLE STRATÉGIQUE POUR L’INGÉRENCE INFORMATIONNELLE
Il serait illusoire de croire que les campagnes d’ingérence informationnelle déployées depuis plusieurs années dans l’espace numérique européen s’adressent indistinctement à l’ensemble des catégories de population. Comme toute opération stratégique, elles obéissent à une logique de ciblage, de hiérarchisation des priorités, d’optimisation de l’impact. Dans cette perspective, la jeunesse, entendue ici comme l’ensemble des individus âgés de quinze à vingt-cinq ans, constitue une cible de choix, non seulement du fait de sa présence massive sur les plateformes numériques, mais aussi en raison de ses caractéristiques psychologiques, sociales et culturelles, qui la rendent particulièrement perméable aux récits manipulatoires, aux narrations clivantes, aux figures d’autorité alternatives. La jeunesse n’est pas simplement vulnérable par inexpérience : elle est stratégique parce qu’elle incarne une force de projection, une capacité d’influence horizontale, une caisse de résonance puissante au sein des dynamiques sociales contemporaines.
Plusieurs études, menées tant en Europe qu’en Amérique du Nord, ont mis en évidence un phénomène central dans la compréhension de cette vulnérabilité : la combinaison d’une surexposition informationnelle avec une faible structuration cognitive. Les jeunes générations, qui ont grandi dans un monde saturé d’écrans, de notifications, de vidéos courtes, de messages fragmentés, sont confrontées à une quantité de données bien supérieure à celle de toutes les générations précédentes, mais sans pour autant disposer d’un encadrement suffisant pour en organiser le sens, en hiérarchiser la pertinence, en identifier les intentions. Ce trop-plein d’information, loin de favoriser l’esprit critique, tend à engendrer une forme de confusion permanente, une difficulté croissante à distinguer la source de l’écho, l’analyse du commentaire, le fait de la rumeur.
Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que les canaux d’information privilégiés par les jeunes échappent en grande partie aux espaces de régulation classiques. Là où les adultes continuent, dans une certaine mesure, à s’informer via la presse écrite, les journaux télévisés ou la radio, les jeunes, eux, construisent leur rapport au monde à travers des fils TikTok, des vidéos YouTube, des stories Instagram ou des échanges sur Snapchat. Ces formats, par essence visuels, émotionnels, instantanés, ne sont pas propices à la contextualisation, à la complexité, à la contradiction. Ils favorisent la vitesse plutôt que la réflexion, la connivence plutôt que l’argumentation, la réaction plutôt que l’analyse. Dans cet environnement, le contenu est d’autant plus crédible qu’il est esthétique, incarné, viral. Et l’autorité ne découle plus d’une compétence reconnue, mais d’une capacité à capter l’attention, à susciter l’identification ou à provoquer l’adhésion affective.
Les campagnes d’influence étrangères exploitent pleinement cette reconfiguration du régime de légitimité. Elles ne cherchent pas à imposer des idées en frontal, mais à insinuer des récits dans le langage même des jeunes, à travers des vidéos “lifestyle”, des formats humoristiques, des extraits de discours remixés, des témoignages pseudo-authentiques, des montages émotionnels. Elles s’adossent à des figures d’influence déjà établies, ou en créent de toutes pièces, en les dotant d’une identité visuelle, d’un ton, d’une esthétique qui parle aux jeunes générations. Et ce faisant, elles contournent les défenses rationnelles, elles s’installent dans les marges de l’opinion, elles contaminent l’espace de la conversation sans déclencher d’alerte immédiate.
Ce travail d’infiltration est d’autant plus efficace qu’il repose sur un déficit structurel d’éducation aux médias et à l’information. Malgré les alertes répétées depuis une décennie, les systèmes éducatifs européens tardent à mettre en place une formation ambitieuse, cohérente, à la lecture critique de l’image, à la déconstruction des narratifs, à la compréhension des mécanismes de persuasion. Ce retard est aggravé par l’absence de culture numérique dans de nombreux établissements scolaires, par la crainte d’entrer dans des débats perçus comme politiques, et par le manque de moyens humains et techniques pour accompagner les enseignants. De ce fait, de larges segments de la jeunesse se retrouvent livrés à eux-mêmes, face à des contenus de plus en plus sophistiqués, porteurs de récits qui exploitent leurs colères, leurs blessures, leurs aspirations.
Mais cette vulnérabilité cognitive n’est pas seulement le produit d’un défaut de formation. Elle s’inscrit aussi dans un contexte plus large de crise de la transmission. Nombre de jeunes européens expriment une perte de confiance envers les institutions, une défiance envers les médias traditionnels, un sentiment d’abandon face aux inégalités sociales ou territoriales, une lassitude à l’égard d’un discours politique perçu comme creux ou déconnecté. Ce climat de désaffiliation favorise l’adhésion à des contre-discours radicaux, qui offrent à la fois une explication du monde et une posture identitaire. Les récits de type conspirationniste, les dénonciations systématiques des élites, les appels à la résistance contre un ordre prétendument oppressif rencontrent un écho d’autant plus fort qu’ils donnent à ceux qui les relaient le sentiment d’être lucides, éveillés, insoumis.
C’est dans cet entrelacs de fragilités — cognitive, éducative, sociale et symbolique — que les acteurs de l’ingérence étrangère déploient leurs opérations. Leur objectif n’est pas toujours de faire adhérer à un narratif précis, mais plus souvent de désorienter, de fragmenter, de provoquer une perte de repères qui affaiblit la cohésion sociale et la légitimité démocratique. En semant le doute sur tout, en présentant la vérité comme relative, en promouvant l’idée que tous les discours se valent, ils contribuent à un effondrement silencieux de la pensée critique. Et dans ce brouillard, la jeunesse devient à la fois le champ de bataille et l’enjeu du conflit informationnel.
Il serait cependant réducteur de considérer les jeunes uniquement comme des victimes passives. Ils sont aussi, dans de nombreux cas, des acteurs de leur propre éveil, des relais de contre-discours, des créateurs de contenu engagés, capables de mobiliser leur audience pour dénoncer les manipulations ou déconstruire les fake news. Cette capacité de résilience existe, elle est réelle, mais elle reste fragile, minoritaire, souvent isolée. Elle ne pourra se déployer à l’échelle que si elle est soutenue par des politiques publiques ambitieuses, par un investissement massif dans l’éducation à l’esprit critique, et par une stratégie européenne claire pour lutter contre les opérations d’influence numérique ciblant les jeunes.
Car ce qui se joue ici dépasse largement la question de l’information. Il s’agit de savoir si la jeunesse européenne pourra se construire dans un espace cognitif ouvert, éclairé, pluraliste, ou si elle sera durablement enfermée dans un labyrinthe de récits étrangers, de perceptions faussées et de représentations toxiques. La réponse à cette question déterminera non seulement l’avenir du débat public, mais aussi la capacité de l’Europe à maintenir sa souveraineté politique, culturelle et démocratique à l’ère numérique.
PARTIE III — CONSÉQUENCES DIRECTES ET LATENTES : DÉSINFORMATION, REPLI, RUPTURE DÉMOCRATIQUE
Les mécanismes d’influence informationnelle ne produisent pas des effets mécaniques, immédiats, ou nécessairement spectaculaires. Leur efficacité réside justement dans leur temporalité longue, leur capacité à agir en profondeur, à altérer progressivement les représentations, à fragiliser les repères collectifs et à modeler les réflexes cognitifs de toute une génération. L’impact de ces campagnes sur la jeunesse européenne ne peut donc être réduit à quelques épisodes de viralité ponctuelle ou à des vagues de mobilisation numérique visibles. Il s’agit au contraire de comprendre la façon dont l’exposition répétée à des contenus falsifiés, orientés ou stratégiquement manipulés transforme, au fil du temps, les conditions mêmes de la vie démocratique : confiance, participation, débat, attachement à la vérité, conscience collective.
La première conséquence observable de cette saturation informationnelle est l’érosion du discernement. Face à l’avalanche quotidienne de contenus contradictoires, souvent décontextualisés, la distinction entre fait et interprétation, entre source fiable et propagande déguisée, entre savoir et opinion devient de plus en plus floue. Cette dilution de la vérité affaiblit l’autorité du réel, désoriente les jeunes esprits, et installe une forme de relativisme rampant où toutes les paroles, tous les récits, toutes les croyances semblent valables, pourvu qu’ils soient bien présentés ou massivement partagés. Cette crise de la hiérarchisation cognitive s’accompagne souvent d’un repli sur des communautés informationnelles affinitaires, où chacun ne lit, ne voit, ne commente que ce qui conforte ses intuitions initiales, ses colères, ses soupçons.
Ce phénomène de bulle cognitive, renforcé par les logiques algorithmiques des plateformes, produit des effets puissants sur le rapport que les jeunes entretiennent avec le débat démocratique. Car celui-ci suppose, par définition, l’existence d’un socle commun de faits reconnus, d’un minimum de langage partagé, d’une disposition à l’écoute de l’autre. Lorsque ce socle se désagrège, lorsque la parole publique devient un champ de confrontation permanente entre récits incompatibles, la démocratie se vide progressivement de sa substance. Non pas par violence, mais par vacuité. Ce que l’on observe alors n’est pas seulement une défiance envers les institutions, mais une perte de sens du politique, une impression que toute parole officielle est suspecte, que toute forme de pouvoir est illégitime, que tout discours contradictoire est une manipulation déguisée.
L’une des conséquences les plus inquiétantes de cette dynamique est le développement d’un sentiment de solitude politique chez les jeunes, doublé d’un repli individualiste ou communautaire. En l’absence de récits fédérateurs, de projets collectifs partagés, de médiations solides, une partie croissante de la jeunesse glisse vers une forme de désengagement civique, voire de nihilisme informationnel. Ce dernier se traduit par une posture de rejet global, une difficulté à croire en quoi que ce soit, une tendance à considérer que toutes les causes sont instrumentalisées, que tous les discours sont faussés, que toute participation est vaine. Il en résulte une jeunesse à la fois surinformée et désorientée, hyperconnectée et profondément isolée, active sur les réseaux mais absente des espaces délibératifs traditionnels.
Dans ce climat délétère, les récits radicaux, qu’ils soient politiques, religieux, identitaires ou conspirationnistes, trouvent un terrain d’adhésion plus fertile. Non parce qu’ils convainquent rationnellement, mais parce qu’ils offrent un récit total, une grille de lecture simple, une explication du chaos, un ennemi désigné. C’est ainsi que l’on voit émerger, chez une frange non négligeable de la jeunesse, des formes de radicalisation cognitive qui n’empruntent pas toujours les voies classiques de l’endoctrinement, mais qui s’installent insidieusement à travers l’humour noir, le second degré, le goût du scandale, le rejet de la norme. Ce processus de bascule est difficile à détecter, car il ne se manifeste pas immédiatement par des actes, mais par des postures, des adhésions tacites, des réseaux d’adhérence symbolique. Il ouvre la voie à des comportements de défiance profonde, parfois à des passages à l’acte marginaux, mais toujours inscrits dans une architecture mentale érodée par l’exposition prolongée à des contenus malveillants.
Parallèlement à cette polarisation des attitudes, un autre effet insidieux se manifeste : l’épuisement émotionnel. La surconsommation de récits anxiogènes, de scandales récurrents, de contenus alarmistes ou accusatoires génère chez les jeunes une fatigue informationnelle croissante, un désengagement affectif face aux grands enjeux collectifs, voire une forme de désensibilisation face à la violence symbolique ou réelle. Cette lassitude, nourrie par la sensation d’un monde incohérent, saturé, ingérable, pousse une partie de la jeunesse à se réfugier dans le divertissement pur, dans la consommation passive, dans l’ironie cynique, ou encore dans des identités numériques repliées sur elles-mêmes. Ce n’est pas une dépolitisation au sens classique du terme, mais un contournement du politique, une forme de retrait stratégique face à un univers perçu comme illisible et hostile.
Enfin, l’impact à long terme de ces dynamiques pourrait bien être la construction d’une génération durablement méfiante, structurellement fragmentée, difficile à mobiliser dans le cadre des formes démocratiques traditionnelles. Ce que les opérations d’ingérence étrangère cherchent à affaiblir, ce n’est pas seulement l’opinion publique du présent, mais la capacité future des sociétés à se régénérer, à faire émerger des élites légitimes, à entretenir un lien de confiance entre gouvernants et gouvernés. En semant le doute dans les têtes des plus jeunes, en brisant les passerelles entre générations, en s’attaquant aux conditions de possibilité du débat rationnel, ces campagnes d’influence s’inscrivent dans une stratégie de désagrégation lente des sociétés démocratiques.
Dès lors, il ne suffit plus de parler de désinformation comme d’un danger extérieur. Il faut la penser comme un agent de transformation interne, un dissolvant du lien social, un perturbateur du contrat démocratique. Et la jeunesse, parce qu’elle est au cœur de ces transformations, doit devenir la priorité des stratégies de résilience. Il ne s’agit pas seulement de la protéger, mais de lui donner les moyens de redevenir actrice de son rapport au monde, de reconstruire, avec elle, un horizon commun de compréhension, d’engagement, et de vérité partagée.
PARTIE IV — CAMPAGNES D’INFLUENCE CIBLÉES : INJECTION DE NARRATIFS, RÉCITS DÉTOURNÉS ET FABRICATION DU DOUTE DANS L’ESPRIT DES JEUNES EUROPÉENS
Toute analyse théorique sur l’ingérence informationnelle resterait incomplète si elle ne s’appuyait pas sur une observation précise, contextualisée, et rigoureuse des opérations concrètes menées par des puissances étrangères ou des acteurs non étatiques dans les espaces numériques fréquentés par la jeunesse. Car au-delà des constats structurels — algorithmes biaisés, plateformes dérégulées, vulnérabilité cognitive — se déploie un ensemble d’actions planifiées, documentées, et parfois revendiquées, qui traduisent une volonté stratégique claire : pénétrer l’espace mental des jeunes générations européennes, perturber leurs repères, désorganiser leur rapport à la vérité et rediriger leur perception du monde à travers des récits orientés, simplifiés, polarisants.
L’un des cas les plus emblématiques de cette guerre narrative est celui de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Très tôt, des opérations de désinformation ont été menées sur les réseaux sociaux, visant à décrédibiliser le gouvernement ukrainien, à relativiser les responsabilités du Kremlin, ou à diffuser des récits victimaires centrés sur la prétendue provocation de l’OTAN. Sur TikTok, plateforme privilégiée par les moins de 25 ans, une multitude de vidéos, parfois esthétiquement séduisantes, émotionnellement chargées, reprenant des images sorties de leur contexte ou mêlant fiction et réalité, ont circulé à grande vitesse, touchant des centaines de milliers de jeunes européens. Certaines étaient diffusées par de faux comptes d’influenceurs, d’autres par des utilisateurs sincèrement convaincus, manipulés eux-mêmes par des sources russes, d’autres encore par des bots amplificateurs. Le résultat fut double : semer le doute sur la véracité des informations relayées par les médias européens, et surtout brouiller les repères moraux, qui est la victime, qui est l’agresseur, qui ment, qui exagère, en injectant systématiquement une contre-lecture relativiste et confusionniste.
Cette technique de brouillage est loin d’être spécifique au conflit ukrainien. Elle s’est également manifestée lors des grandes séquences géopolitiques récentes, notamment autour de la guerre entre Israël et le Hamas. Là encore, les plateformes numériques ont été saturées par des contenus très courts, montés de manière émotionnelle, sans contexte ni source, véhiculant parfois des récits manipulés par des États tiers désireux de polariser l’opinion publique européenne, d’alimenter les tensions communautaires, et de nourrir une jeunesse déjà fragilisée par un sentiment d’injustice globale. Des vidéos d’exactions anciennes ont été recyclées pour servir une cause présente, des témoignages inventés ont circulé sous forme de messages WhatsApp ou Telegram, des récits simplistes sur les « gentils » et les « méchants » ont été massivement relayés, souvent sous la forme de formats viraux portés par des comptes très suivis chez les jeunes, y compris dans les milieux culturels ou sportifs.
Le même mécanisme a été observé lors des grandes vagues de mobilisation climatique, notamment avec la récupération par des acteurs russes ou chinois de certaines figures de l’éco-anxiété pour injecter des récits anti-occidentaux, anti-européens, ou plus largement anticapitalistes dans les communautés de jeunes militants écologistes. En exploitant les frustrations légitimes face à l’inaction climatique, en surfant sur les inquiétudes environnementales profondes d’une génération en quête de sens, ces campagnes ont diffusé des messages remettant en cause l’Union européenne, les institutions démocratiques, ou les alliances transatlantiques, parfois en attribuant à ces dernières l’entière responsabilité des dérèglements planétaires. Ces narratifs, s’ils trouvent un terreau favorable, ne sont pas toujours immédiatement perçus comme des opérations d’influence. Ils se présentent comme des analyses critiques, des expressions citoyennes ou des appels à l’éveil. Mais derrière la rhétorique, on retrouve des éléments caractéristiques de la stratégie d’ingérence : simplification radicale des causes, inversion des responsabilités, mise en scène émotionnelle, et fragmentation des appartenances politiques.
Parmi les campagnes les plus inquiétantes figure également celle autour du genre, de l’identité sexuelle, et de la théorie du complot liée à la prétendue « déconstruction » occidentale. Plusieurs relais informationnels, identifiés comme proches des sphères d’influence russes, ont promu, en Europe comme en Afrique francophone, un narratif selon lequel l’Occident, et plus spécifiquement l’Union européenne, chercherait à imposer une idéologie du genre destructrice, au détriment des valeurs traditionnelles, de la famille et des identités nationales. Ces discours, qui trouvent un écho chez certains jeunes en quête d’ancrage identitaire, ont été massivement diffusés sur YouTube, Telegram et TikTok, avec des formats particulièrement attractifs : animations, extraits de faux documentaires, interventions d’“experts” auto-proclamés, ou témoignages montés de toutes pièces. L’objectif, une fois encore, n’est pas tant d’informer que de diviser, de dresser les jeunes les uns contre les autres, d’attiser les conflits culturels internes aux sociétés européennes.
Enfin, un cas spécifique mérite d’être évoqué tant il a touché au cœur des dynamiques virales : l’affaire Brigitte Macron, reprise sous une forme déformée, conspirationniste et haineuse, à travers une vaste campagne mêlant pétition, fausses accusations, détournements de propos, et réactivation de thèses transphobes sur fond d’animosité politique. Cette affaire, dont la source a été instrumentalisée à des fins d’attaque contre l’État et contre les institutions, s’est rapidement diffusée parmi une jeunesse politisée, parfois en marge, qui a repris les codes du complotisme sous couvert de dénonciation citoyenne. L’ampleur du phénomène ne tient pas seulement à la nature des accusations, mais à la vitesse avec laquelle celles-ci ont été reprises sur des comptes influents, sans vérification, sans recul, et dans une ambiance de révolte numérique alimentée par une défiance profonde envers tout ce qui émane du pouvoir. Ce cas illustre de manière saisissante la manière dont un fait isolé, mis en scène, réinterprété, peut devenir un point de fixation collectif, un vecteur de polarisation, et une caisse de résonance pour des récits hostiles à la démocratie.
Ces exemples, s’ils diffèrent dans leur contenu, obéissent pourtant à une même logique : celle de l’atomisation du réel, de la fragmentation des opinions, de la captation des affects pour rediriger la colère sociale vers des cibles choisies. Il ne s’agit jamais d’imposer un récit unique, mais de rendre tout récit commun impossible. La jeunesse, en raison de son hyper-connectivité, de son absence de filtre institutionnel, et de sa légitime soif de justice, devient l’espace idéal de cette confrontation larvée, où se joue non seulement l’équilibre géopolitique, mais la possibilité même d’un avenir démocratique partagé.
EN DÉFINITIVE : POUR UNE SOUVERAINETÉ COGNITIVE EUROPÉENNE
Il est désormais impossible de prétendre ignorer la nature des menaces qui pèsent sur la jeunesse européenne dans l’espace numérique globalisé. L’ingérence informationnelle, sous ses formes multiples et adaptatives, n’est pas une projection théorique, ni une abstraction médiatique. Elle est une réalité structurée, active, persistante, qui s’immisce dans les replis les plus intimes de la vie connectée, qui infiltre les langages, détourne les émotions, contamine les repères, et altère insensiblement le lien que les jeunes générations entretiennent avec la vérité, la démocratie, et le sentiment d’appartenance collective. Ce qui était hier un risque marginal est devenu aujourd’hui une variable stratégique centrale dans l’équation du maintien de la souveraineté européenne.
Face à cette réalité, la réponse ne peut être partielle, morcelée ou technocratique. Elle doit être à la hauteur de l’ambition que l’Europe doit porter pour elle-même, et pour ceux qui incarneront demain ses institutions, ses projets, ses valeurs. Car ce sont bien les jeunes, en tant que citoyens en devenir, électeurs, acteurs culturels, relais sociaux, qui détermineront la capacité de l’Europe à survivre à la déstabilisation des consciences. Et c’est sur eux que se concentrent aujourd’hui, de manière ciblée et répétée, les attaques informationnelles les plus insidieuses, les plus sophistiquées, les plus difficiles à identifier précisément parce qu’elles ne prennent pas la forme d’un affrontement frontal, mais d’une corrosion diffuse du rapport au réel.
La souveraineté cognitive n’est pas un concept rhétorique. Elle est une nécessité politique. Elle désigne la capacité d’une société à préserver, dans un espace public libre et ouvert, les conditions de sa propre lucidité. Elle repose sur des institutions solides, des médias indépendants, des écoles habitées par l’exigence, des plateformes régulées, mais surtout sur une culture partagée de la rigueur intellectuelle, du débat contradictoire et de la vigilance démocratique. Elle n’exige pas l’unanimité, mais elle suppose des fondations communes : un socle de faits admis, un langage intelligible, une mémoire vivante, une exigence de cohérence dans les récits qui structurent nos représentations collectives.
Si l’Europe veut se doter d’une telle souveraineté, elle devra rompre avec une certaine forme de naïveté qui a longtemps prévalu dans la gestion des technologies de l’information. Elle devra reconnaître que l’espace numérique n’est pas neutre, qu’il est devenu un champ de confrontation géopolitique à part entière, et que ceux qui maîtrisent les récits façonnent les opinions, influencent les votes, et redessinent les équilibres sociaux. Elle devra assumer que ses jeunesses sont devenues une cible stratégique non pas en raison de leur fragilité, mais en raison de leur puissance symbolique et de leur pouvoir de transformation. Et elle devra s’engager, résolument, à défendre ces jeunesses non par la surveillance ou la censure, mais par l’éducation, par la confiance, par la reconstruction d’un lien politique capable de les inclure dans la fabrique du commun.
Il faudra, pour cela, non seulement inventer de nouveaux outils, mais aussi réapprendre à nommer les choses. La désinformation n’est pas seulement une erreur. C’est souvent une entreprise. La manipulation n’est pas un accident. C’est une stratégie. L’effondrement du débat rationnel n’est pas une conséquence collatérale. C’est une finalité recherchée par ceux qui tirent profit de la confusion générale. Il est temps de redonner aux mots leur poids, aux faits leur autorité, aux institutions leur légitimité, non pas en les figeant, mais en les ouvrant à la jeunesse, en les rendant compréhensibles, accessibles, engageants.
Il est aussi temps de reconnaître que la souveraineté cognitive ne pourra se construire contre les jeunes, ni sans eux. Il ne suffit pas de leur demander d’être critiques. Il faut leur donner les moyens de l’être. Il ne suffit pas de les accuser de se réfugier dans des récits alternatifs. Il faut comprendre pourquoi ces récits leur parlent plus que ceux que nous produisons. Il ne suffit pas de dénoncer leur rapport émotionnel à l’information. Il faut s’interroger sur le vide affectif laissé par nos dispositifs publics. C’est à cette condition seulement que l’on pourra faire de la résilience cognitive un projet politique crédible, structurant, porteur d’un avenir.
Cette étude du Centre Européen de Sécurité et de Stratégie s’inscrit dans cette ambition. Elle ne prétend pas épuiser le sujet, ni résoudre par elle-même un défi d’une telle ampleur. Mais elle entend contribuer à la mise en mouvement d’une réponse européenne, consciente de l’enjeu civilisationnel que représente aujourd’hui la préservation de l’esprit critique, et résolue à ne pas céder aux logiques d’abandon, de désengagement ou de fatalisme. Il est encore temps d’agir. Il est encore temps d’investir dans la reconstruction des repères. Il est encore temps de faire de la jeunesse non une cible à protéger, mais une alliée à mobiliser dans la reconquête de la parole libre, du jugement éclairé, et de l’avenir démocratique de l’Europe.
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