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RSE et industrie de défense : quels enjeux à l’heure du réarmement européen ?

RSE et industrie de défense : vers une éthique stratégique à l’épreuve du réarmement européen. Par le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie. Mai 2025


RSE et industrie de défense : vers une éthique stratégique à l’épreuve du réarmement européen. Par le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie. Mai 2025
RSE et industrie de défense : vers une éthique stratégique à l’épreuve du réarmement européen. Par le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie. Mai 2025


Contexte géopolitique : une Europe en réarmement accéléré


Depuis 2022, l’Union européenne connaît une transformation structurelle de ses politiques de sécurité. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a agi comme un catalyseur d’une dynamique de réarmement stratégique, rompant avec la logique de désengagement post-Guerre froide.


Selon les données de l’Agence Européenne de Défense, les dépenses de défense cumulées des États membres de l’UE ont dépassé 300 milliards d’euros en 2024, marquant un record historique (EDA, 2024). La guerre en Ukraine a mis en lumière la fragilité capacitaire de l’Europe : stocks d’armement épuisés, dépendance technologique vis-à-vis des États-Unis, et fragmentation industrielle.


Dans ce contexte, la réindustrialisation de la défense européenne s’impose comme une priorité. Mais cette relance militaire ne peut faire abstraction d’une exigence croissante en matière de gouvernance éthique, de transparence industrielle et de responsabilité sociétale.



RSE et défense : deux logiques historiquement disjointes


Traditionnellement, les industries de défense ont échappé au cadre classique de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). L’argument sécuritaire, stratégique, ou confidentiel, a souvent prévalu sur les exigences de transparence, d’inclusion ou d’impact environnemental. Pourtant, le virage amorcé ces dernières années est notable.


Les acteurs comme Thales, Safran, Airbus Defence and Space ou MBDA publient désormais des rapports de durabilité et s’engagent sur des trajectoires bas carbone (cf. Thales RSE 2023). Des labels comme ISO 26000 ou les exigences ESG (environnement, social, gouvernance) des investisseurs institutionnels atteignent également le secteur de l’armement.


Mais cette transition est encore lente, partielle, et souvent perçue comme une dissonance cognitive : comment articuler production de systèmes létaux et éthique d’entreprise ?



Vers une éthique stratégique ? Une européanisation des standards


Dans le cadre du réarmement européen, la question se pose : peut-on concevoir une industrie de défense européenne à la fois puissante, souveraine et responsable ?


L’Europe dispose d’une base conceptuelle unique : le projet de défense européenne s’est toujours construit autour de valeurs civiques, multilatérales et humanistes. L’OTAN, à l’inverse, n’intègre pas de critères de durabilité ou de contrôle RSE.


Une dynamique intéressante émerge autour du concept d’éthique stratégique :

• Associer production de défense et responsabilité environnementale (émissions, matières critiques, biodiversité) ;

• Intégrer la transparence des chaînes d’approvisionnement ;

• Développer une logique de “dual-use responsable” pour les technologies civiles et militaires (ex : IA, satellites, cybersécurité) ;

• Instaurer une redevabilité éthique dans les décisions d’exportation d’armements (cf. le cas Airbus et l’Égypte, 2022, ou Dassault et l’Inde).


Le Parlement européen a publié en 2023 un rapport appelant à un cadre RSE spécifique pour l’industrie de défense, afin d’éviter la dilution des exigences dans le contexte du réarmement.


Réarmement et RSE : une tension productive


Le réarmement européen pose un paradoxe stratégique :

• D’un côté, la course aux capacités pousse à accélérer la production, raccourcir les cycles d’innovation, simplifier les normes.

• De l’autre, la pression sociétale et réglementaire exige plus de conformité, plus de durabilité, plus de responsabilité.


Cette tension peut devenir productive, à condition que les institutions européennes :

• Définissent une doctrine industrielle éthique claire (via l’EDA, la DG DEFIS, ou la Commission) ;

• Accompagnent les PME de défense dans la transition RSE (notamment via les fonds du FEDef) ;

• Créent un label européen de “défense responsable” à destination des citoyens, investisseurs et partenaires internationaux.



Une opportunité pour la souveraineté européenne


En intégrant la RSE au cœur de l’industrie de défense, l’Europe peut se différencier stratégiquement :

• Face aux États-Unis, dont l’industrie repose sur un complexe militaro-industriel peu régulé ;

• Face à la Chine, où les normes ESG sont quasi absentes ;

• Face aux opinions publiques européennes, souvent critiques vis-à-vis des dépenses militaires, mais favorables à une défense européenne éthique.


En somme, l’intégration de la RSE dans la défense peut devenir un vecteur de légitimité stratégique.


À l’heure du réarmement européen, la Responsabilité Sociétale des Entreprises appliquée à l’industrie de défense n’est plus une option. Elle est un levier de cohérence, de légitimité, et d’efficacité stratégique. Le défi est immense, mais il correspond à l’ADN même du projet européen : réconcilier puissance et valeurs.


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