Réponse du CESS à la conférence de presse du Général Burkhard
- Centre Européen de Sécurité et Stratégie
- il y a 4 jours
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Guerre invisible, stratégique et lucidité collective
Il y a des paroles qui portent, non parce qu’elles annoncent quelque chose de nouveau, mais parce qu’elles actent, en pleine lumière, ce que beaucoup pressentaient déjà dans l’ombre.
La conférence de presse du général Thierry Burkhard, Chef d’État-Major des Armées, ce 11 juillet 2025, appartient à cette catégorie rare.

Sans effets spectaculaires, sans rhétorique guerrière, elle a posé les mots qui, jusque-là, circulaient à bas bruit dans les sphères stratégiques, médiatiques ou citoyennes. Oui, la France, comme l’Europe, est entrée dans une époque de menaces diffuses. Oui, la conflictualité moderne se joue dans des territoires nouveaux, qui ne portent ni uniforme, ni drapeau, ni trace visible.
Mais ce que la conférence n’a fait qu’effleurer, et que nous affirmons ici pleinement, c’est que ce basculement n’est pas seulement une affaire militaire. Il est profondément politique, culturel, sociétal. Il engage l’ensemble du corps européen. Et c’est précisément dans cet entre-deux — entre guerre et paix, entre réel et narratif, entre puissance et influence — que le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS) choisit de prendre la parole.
Nous ne sommes pas en paix
Ce que montre le moment que nous traversons, c’est qu’il n’y a plus de ligne claire entre le temps de guerre et celui de paix. Les conflits ne se déclarent plus ; ils s’installent, par couches successives.
Un câble sous-marin sectionné, comme celui reliant l’Afrique à l’Europe au large du Togo fin juin, ne fait pas la une des journaux. Pourtant, dans le monde actuel, sabotage rime avec stratégie. Ce ne sont plus seulement des infrastructures techniques qu’on attaque, ce sont les veines numériques de la souveraineté. Un ralentissement, un doute, une panique — et l’effet est là. Invisible, mais opérationnel.
De même, un flux de vidéos TikTok soigneusement calibrées pour dénigrer l’engagement de la France en Ukraine, ou pour promouvoir des narratifs pro-russes auprès d’un public jeune et désorienté, ne ressemble pas à une arme. Mais c’en est une. Une arme douce, perverse, virale. Une arme qui ne détruit pas les ponts, mais les croyances. Et dans un monde saturé de récits concurrents, ce sont les croyances, plus que les canons, qui forgent la géopolitique.
Une conflictualité qui ronge de l’intérieur
Ce que le général Burkhard a pointé — cybermenaces, criminalité organisée, manipulations informationnelles — compose un paysage de menaces où l’adversaire principal n’est plus identifiable. Il change de visage. Il se niche dans les failles sociales, les divisions culturelles, les peurs collectives.
La Russie, aujourd’hui, est une puissance militaire et informationnelle. Elle agit autant par saturation que par infiltration. Elle finance des réseaux associatifs, mobilise des campagnes de contenu sur les plateformes, cible les fragilités démocratiques avec un art consommé de la polarisation.
Mais la Russie n’est pas seule. D’autres États testent déjà des récits alternatifs. L’Iran expérimente l’intimidation à distance par influence communautaire. La Chine affine ses stratégies d’imprégnation douce via le divertissement, l’IA et les infrastructures numériques.
Tout cela ne relève plus de la science-fiction. Cela s’observe chaque jour, chaque heure, sur les réseaux, dans les commentaires sous un article, dans les sujets biaisés de certains influenceurs en apparence apolitiques.
Ce que la société civile ne peut plus ignorer
La sécurité, dans ce nouveau monde, ne peut plus être pensée comme un monopole de l’État. Elle devient un bien commun, une responsabilité partagée.
Car ce ne sont pas seulement les diplomates ou les militaires qui sont en première ligne. Ce sont les enseignants qui luttent contre le relativisme. Les journalistes qui enquêtent dans la tempête. Les chercheurs qui analysent sans relais. Les citoyens qui doutent mais tiennent. Les plateformes indépendantes qui, sans gros moyens, remontent les mécaniques de l’ingérence. C’est là que le combat se joue. Et c’est là que le CESS se tient.
Nous affirmons qu’il faut bâtir une doctrine européenne qui articule puissance militaire, résilience informationnelle, souveraineté numérique et mobilisation civique stratégique. Car ce qui est visé, à travers les flux informationnels et les récits déformés, ce n’est pas seulement la vérité. C’est la cohérence collective. L’idée même d’un “nous”.
Afrique : fracture stratégique ou mutation nécessaire ?
L’Afrique, dans cette équation, n’est plus un simple terrain d’opérations. Elle devient un espace de compétition narrative intense.
Depuis le retrait partiel des troupes françaises et la réorientation bilatérale, un vide est apparu — un vide que d’autres s’empressent de combler. Wagner, désormais affaibli mais remplacé par d’autres structures, continue d’agir par procuration.
L’enjeu, ici, n’est plus seulement sécuritaire : il est identitaire, symbolique, historique. Qui parle au nom de qui ? Qui protège, qui instrumentalise ? La France, perçue dans certains cercles comme arrogante ou néocoloniale, doit impérativement réinventer son discours — et sa posture.
Ce n’est pas en s’effaçant qu’on restaure la confiance, mais en agissant autrement. Plus discrètement. Plus humblement. Plus stratégiquement. Et là encore, la société civile européenne peut jouer un rôle de trait d’union, de force de proposition, de relais apaisé.
Ce que nous proposons
Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS) a été fondé précisément pour cela : pour combler un angle mort entre les institutions et le terrain. Pour créer des ponts entre les sphères expertes, les décideurs, les médias, les citoyens.
Nous avons lancé le premier baromètre de l’ingérence étrangère, qui cartographie trimestriellement les campagnes actives ou passives visant la France et l’Union européenne.
Nous finalisons une cartographie inédite des flux de désinformation, intégrant les relais humains, les biais algorithmiques et les interactions sociales.
Nous développons un pôle de veille stratégique civil capable d’analyser en temps réel les signaux faibles et les narratifs émergents.
Mais surtout, nous voulons poser une question simple, à tous les responsables européens :
Combien de temps encore allons-nous traiter la guerre informationnelle comme un sujet secondaire ?
Ce que nous affirmons
Nous sommes entrés dans un cycle long de confrontation hybride, où l’ennemi n’est pas toujours militaire, où l’attaque ne fait pas toujours de bruit, où la défaite peut survenir sans bataille.
Nous affirmons que la société civile est la clef de voûte de la résilience européenne.
Nous affirmons que la sécurité doit se penser aussi dans les récits, les consciences, les usages numériques.
Et nous affirmons que la réponse stratégique du XXIe siècle devra être collective, lucide, informée, transversale.
La conférence du général Burkhard a mis des mots sur un monde nouveau. À nous d’y mettre des actes, des structures, et une pensée à la hauteur du défi.
Thierry-Paul Valette
Président du Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS)
Actif dans les travaux européens sur la résilience démocratique
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