Surveillance orbitale et détection des menaces spatiales : une priorité stratégique pour l’Europe et l’OTAN
- Centre Européen de Sécurité et Stratégie
- 9 juil.
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Dernière mise à jour : il y a 4 jours
Note stratégique
Centre Européen de Sécurité et de Stratégie – Juillet 2025

Résumé exécutif
Note stratégique
Centre Européen de Sécurité et de Stratégie – Juillet 2025Les États-Unis ont consolidé leur hégémonie grâce à un réseau de surveillance spatiale global (SSN), tandis que la Chine et la Russie développent discrètement leurs moyens de contre-espace. L’Europe, malgré des initiatives (EU SST, GRAVES, SST-SSA), reste dépendante du parapluie américain, tant sur le plan capacitaire que doctrinal.
Face à ce déséquilibre stratégique, le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie appelle à une révision profonde de la doctrine orbitale européenne, en y intégrant une coordination plus robuste avec l’OTAN, tout en affirmant une ambition propre. Une surveillance souveraine de l’environnement spatial, appuyée sur une architecture partagée, devient une condition sine qua non de toute autonomie stratégique crédible.
1. Contexte stratégique : de l’espace comme milieu technique à l’espace comme théâtre de conflictualité
L’espace, longtemps perçu comme un espace neutre de coopération scientifique, s’est progressivement imposé comme un théâtre stratégique à part entière. Cette mutation s’est accélérée au cours des deux dernières décennies, avec :
• L’explosion du nombre de satellites actifs (plus de 11 300 satellites opérationnels en orbite terrestre en 2025 selon l’Union of Concerned Scientists[^1]),
• L’essor des constellations commerciales (Starlink, OneWeb, Kuiper, IRIS²),
• Et la généralisation de doctrines de guerre informationnelle et antisatellite.
La guerre en Ukraine a confirmé cette évolution : l’utilisation de capacités spatiales commerciales (imagerie satellitaire, communications, GPS) a permis une coordination militaire d’une précision inédite, tout en exposant les vulnérabilités des infrastructures spatiales civiles et militaires.
2. Capacités actuelles : un déséquilibre capacitaire critique
Les États-Unis : un monopole doctrinal et capacitaire
Les États-Unis disposent d’une supériorité technologique et opérationnelle dans la surveillance orbitale. Le US Space Surveillance Network (SSN), géré par la Space Force et le STRATCOM, contrôle plus de 27 capteurs mondiaux, couvrant toutes les orbites. Ce réseau est soutenu par :
• Des radars de surveillance (Cobra Dane, PAVE PAWS, GEODSS),
• Des télescopes optiques à haute résolution,
• Des algorithmes avancés de tracking prédictif (Space Domain Awareness).
Le catalogue d’objets spatiaux de la NASA/USSF est la référence mondiale, utilisée même par les agences européennes.
L’Union européenne : dépendante et fragmentée
L’Europe a lancé en 2014 le programme EU SST, financé par la Commission européenne (DG DEFIS). Il regroupe 15 États membres, mais reste limité :
• Il repose sur des radars nationaux (GRAVES en France, TIRA en Allemagne, S3TSR en Espagne),
• Les données ne sont pas centralisées en temps réel,
• Le système ne couvre que partiellement l’orbite géostationnaire,
• Il dépend du catalogue américain pour les objets non coopératifs.
Par ailleurs, l’ESA (European Space Agency), bien qu’acteur technique de référence, n’a pas de mandat militaire, ce qui limite son rôle dans une stratégie de résilience orbitale en cas de conflit.
Chine et Russie : vers une surveillance opaque et militarisée
La Chine a développé un SSA dual (civil-militaire) articulé autour du système de détection Yuan Wang, de stations optiques (Qinhai) et d’un réseau radar en expansion. Elle maîtrise également les capacités antisatellite démontrées en 2007 (test ASAT à 865 km).
La Russie, quant à elle, modernise ses installations radars (Okno, Krona) et développe une doctrine d’invisibilisation de ses satellites (manœuvres non déclarées, brouillage actif).
3. L’Europe face aux menaces émergentes : asymétrie technologique et vulnérabilité stratégique
La fragmentation des capacités européennes (techniques, industrielles, doctrinales) entraîne une asymétrie croissante face aux puissances spatiales. L’Europe reste :
• Vulnérable aux attaques non cinétiques : brouillage GNSS, lasers aveuglants, interférences ciblées,
• Dépendante du SSA américain pour la majorité des alertes de collision,
• Exposée en cas de perte de conscience de situation orbitale, notamment pour les infrastructures critiques : Galileo, IRIS², Copernicus, GovSatCom.
Cette vulnérabilité est aggravée par l’absence d’un centre opérationnel de commandement spatial unifié, contrairement à l’US Space Command ou au Strategic Support Force chinois.
4. Coordination OTAN – UE : entre interdépendance stratégique et souveraineté contrariée
L’OTAN a reconnu l’espace comme domaine opérationnel depuis 2019 et a publié en 2022 sa première stratégie spatiale militaire. Elle encourage :
• L’échange de données SSA entre alliés,
• Le soutien à la résilience satellitaire,
• L’identification des comportements orbitaux hostiles.
Cependant, l’Europe peine à s’affirmer comme contributeur autonome. Les initiatives restent cloisonnées entre agences civiles, acteurs commerciaux et autorités nationales.
Une coordination OTAN–UE plus poussée se heurte à plusieurs limites :
• Absence de doctrine commune de partage d’informations,
• Divergences politiques sur l’autonomie stratégique,
• Réticence de certains États membres à mutualiser leurs moyens de surveillance.
5. Recommandations stratégiques (CESS)
1. Créer un centre européen unifié de surveillance orbitale (CEUSO)
➤ Rassemblant les données des membres EU SST, avec une capacité d’analyse en temps réel, en lien avec les partenaires OTAN.
2. Développer un programme commun d’algorithmes de détection prédictive
➤ En s’appuyant sur l’IA pour modéliser les trajectoires à risque, les comportements suspects, et anticiper les manœuvres hostiles.
3. Renforcer la capacité duale (civile/militaire) des systèmes européens
➤ Tous les satellites stratégiques (IRIS², Galileo, Copernicus) doivent intégrer une brique SSA active.
4. Négocier un cadre de partage OTAN–UE sécurisé
➤ Création d’un protocole d’échange de données orbitale standardisé (Space Data Interoperability Framework).
5. Intégrer les industriels dans la gouvernance orbitale
➤ Airbus, GMV, OHB, Thales doivent être représentés dans les décisions de priorisation capacitaire (avec transparence).
6. Élaborer un code européen de conduite des manœuvres spatiales
➤ Notifier toute manœuvre orbitale prévue, en cohérence avec les engagements du UN COPUOS Guidelines on LTS.
Pour terminer
L’espace n’est plus un sanctuaire. Il est devenu un territoire disputé, où la supériorité stratégique se joue désormais autant dans les trajectoires silencieuses des satellites que dans les armements terrestres. L’Europe ne peut plus se permettre d’être aveugle dans un ciel où d’autres voient tout.
Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie appelle à un sursaut stratégique européen autour de la surveillance orbitale, en lien avec les partenaires de l’OTAN mais sans renoncer à une brique d’autonomie indispensable.
Car une Europe qui ne voit pas ce qui se joue dans l’espace est une Europe vulnérable sur Terre.
SSA radar coverage, architecture EU SST, ou un schéma d’interopérabilité OTAN–UE

Thierry-Paul Valette
Président du Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS)
Bruxelles – Paris – Juillet 2025
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