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Emmanuel Macron : une cible stratégique des récits d’ingérence étrangère

Étude du Centre Européen de Sécurité et de Stratégie – CESS)


Alors que les États européens renforcent leurs défenses face aux menaces hybrides, un phénomène discret mais structurant s’impose : la personnalisation des attaques informationnelles.
La bataille pour l’image présidentielle est devenue un champ de bataille d’influence. Elle ne connaît pas de frontière entre le national et l’international, le fond et l’émotion.

Avant propos


Alors que les États européens renforcent leurs défenses face aux menaces hybrides, un phénomène discret mais structurant s’impose : la personnalisation des attaques informationnelles. Dans les stratégies d’influence étrangère, il ne s’agit plus seulement de discréditer des institutions ou des alliances, mais de construire des récits hostiles autour de figures clés du pouvoir.


En France, cette logique atteint une intensité particulière autour d’Emmanuel Macron. Président jeune, réformateur, europhile, doté d’une diplomatie proactive, Macron est devenu, dans les sphères informationnelles hostiles, un archétype à déconstruire. Il est perçu comme le verrou présidentiel d’un ordre stratégique européen résistant, et donc comme une cible prioritaire pour les puissances étrangères cherchant à fragmenter l’UE de l’intérieur.


L’étude que propose le CESS n’a pas pour objet de défendre ou de critiquer le président en exercice. Elle vise à documenter, avec des outils OSINT, narratologiques et stratégiques, comment un chef d’État démocratique devient, à son corps défendant, un terrain d’ingérence narrative continue.



  1. L’influence par personnalisation : la guerre d’image ciblée


1.1 – Une guerre d’influence fondée sur les symboles


L’ingérence informationnelle moderne ne repose plus principalement sur des campagnes de désinformation massives ou de fausses nouvelles spectaculaires. Elle s’appuie sur des récits crédibles, continus, et cohérents, conçus pour affaiblir la confiance dans les figures démocratiques de référence. Dans cette logique, les chefs d’État sont des cibles “à haut rendement narratif” : ils cristallisent les décisions, les projections géopolitiques, les oppositions internes et internationales.


Emmanuel Macron incarne :

• L’intégration européenne (alignement avec Bruxelles, défense de l’euro),

• La résilience atlantique (soutien à l’Ukraine, coopération OTAN),

• La modernité réformiste (transition numérique, militaire, sociale),

• Une vision de l’autonomie stratégique européenne.


C’est précisément pour cela qu’il devient, dans la grammaire des puissances adverses, un sujet à délégitimer narrativement.



1.2 – Mécanismes de déconstruction : du récit personnel à l’érosion institutionnelle


Les attaques contre Macron n’adoptent pas toujours la forme du mensonge. Elles reposent souvent sur des faits réels, isolés, puis reformulés dans une narration disqualifiante, selon les mécanismes suivants :

• Transfert symbolique : l’image de Macron est liée à celle d’un “système mondialiste”, abstrait et distant.

• Renversement narratif : ses décisions diplomatiques sont présentées comme soumises à l’étranger (OTAN, États-Unis).

• Décontextualisation émotionnelle : des extraits de discours sont détachés de leur cadre pour provoquer le rejet (ex : “je vous emmerde” ou les postures “jupitériennes”).


Ce travail d’érosion continue n’est pas toujours coordonné. Il émerge à la confluence de récits stratégiques russes, iraniens, ou sinisés, et de discours d’opposition nationale ou de plateformes populistes.



1.3 – Une cible française dans un théâtre européen


Macron n’est pas le seul dirigeant européen à être exposé à ce type de pression. Olaf Scholz, Giorgia Meloni ou Ursula von der Leyen font également l’objet de récits hostiles. Mais le cas français se distingue par trois facteurs :

1. La posture diplomatique offensive de la France en soutien à l’Ukraine et à la souveraineté européenne.

2. L’hyperpersonnalisation de la fonction présidentielle dans le régime de la Ve République.

3. La centralité de Macron dans les récits anti-élite structurés depuis l’extérieur (presse d’État russe, RT France avant sa suspension, relais Telegram).



1.4 – Du chef d’État au “personnage narratif” : un processus stratégique


Macron est devenu un objet narratif international. Il est incarné, caricaturé, détourné, transformé en mème ou en allégorie d’un “système”. Cela n’est pas anodin. C’est une forme d’ingérence informationnelle douce, dont le but est de saper la légitimité par l’image et la répétition.


Synthèse


La guerre d’influence ne vise pas uniquement les faits ou les chiffres. Elle vise les figures. Et dans le cas français, elle vise le chef de l’État comme relais de la cohésion démocratique. Emmanuel Macron, par sa position, ses décisions et sa symbolique, est devenu un point d’entrée prioritaire pour les récits d’ingérence étrangère.



2. Les cinq récits hostiles les plus diffusés autour d’Emmanuel Macron


Décryptage stratégique des narratifs d’ingérence informationnelle


À travers l’observation croisée de campagnes numériques, de relais médiatiques, de contenus Telegram et de reprises dans les médias alternatifs francophones, cinq récits récurrents ont émergé depuis 2022 autour de la figure présidentielle. Ces récits ne sont pas nécessairement coordonnés, mais ils convergent dans leurs effets : affaiblir l’image du chef de l’État, réduire sa légitimité, et nourrir un climat de doute politique et stratégique.



Récit 1 – Macron, “vassal de l’OTAN et des États-Unis”


Ce narratif présente Emmanuel Macron comme un exécutant docile de la stratégie américaine, aligné sans réserve sur l’OTAN, incapable de défendre une voie française autonome.

Objectif stratégique : disqualifier la voix de la France dans les négociations internationales en la réduisant à une dépendance.


Formulations typiques :

• “Macron est un sous-traitant du Pentagone.”

• “La France a vendu sa souveraineté à l’OTAN.”

• “Il ne fait que suivre Biden.”


Plateformes de diffusion :

• Telegram (groupes pro-russes)

• YouTube (chaînes souverainistes)

• X (ex-Twitter) avec hashtags : #MacronVassal, #OTANserviteur


Impact OSINT :

Des vidéos de ses discours à Munich ou Vilnius sont régulièrement montées hors contexte et relayées dans des sphères prorusses francophones.



Récit 2 – Macron, incarnation des élites déconnectées


Ce récit fait de Macron le visage de la mondialisation libérale, du mépris technocratique et du pouvoir “hors-sol”.

Objectif stratégique : renforcer le ressentiment social et populiste contre les institutions.


Formulations typiques :

• “Macron ne connaît pas le peuple.”

• “Il gouverne pour les banques, pas pour les Français.”

• “Polytechnicien froid, président des riches.”


Plateformes :

• Médias alternatifs (France Soir, ReinfoLib)

• Reprises YouTube via montages des Gilets Jaunes

• Réseaux Telegram et forums type VK francophones


Signaux OSINT :

De nombreux mèmes politiques l’associent aux élites de Davos ou à des symboles mondiaux (Banque mondiale, ONU, Bilderberg…).



Récit 3 – Macron, “président de la guerre”


Narratif qui transforme le soutien français à l’Ukraine en engagement belliciste et irresponsable.

Objectif stratégique : fragiliser l’opinion française sur la guerre en Ukraine, présenter Macron comme fauteur de guerre.


Exemples :

• Surinterprétation de ses propos sur “l’envoi de troupes”

• Comparaisons douteuses avec les dirigeants de 1914

• Propagation d’images de Macron au contact de chars ou soldats


Reprises :

• Médias russes, puis traduits et relayés sur des chaînes YouTube francophones

• Amplification via des comptes anonymes sur X

• Relais ponctuels sur CNEWS, Valeurs Actuelles


Données :

+37 % de mentions couplées entre “Macron” et “guerre mondiale” selon EU DisinfoLab (2023–2024)



Récit 4 – Macron, président illégitime et contesté par son peuple


Ce récit cherche à installer l’idée que Macron gouverne contre la volonté populaire, et que la France est en crise de régime.

Objectif stratégique : délégitimer la stabilité démocratique française.


Éléments amplifiés :

• Mobilisations contre les retraites

• Crise des agriculteurs, grèves

• Manifestations ou casserolades présentées comme insurrectionnelles


Narration constante :

• “Macron gouverne par la force.”

• “Il n’a plus de majorité réelle.”

• “La France est au bord de l’explosion.”


Vecteurs :

• Capsules vidéo à forte viralité

• Podcasts alternatifs

• Médias prorusses francophones


Récit 5 – Macron, figure isolée sur la scène européenne et mondiale


Ce récit cherche à présenter le président comme rejeté à l’étranger, seul dans ses positions, et inefficace diplomatiquement.

Objectif stratégique : décrédibiliser sa capacité de négociation et d’entraînement stratégique.


Techniques utilisées :

• Cadrages d’images sans contexte (salutations froides, regards détournés)

• Détournements de conférences internationales

• Faux classements d’impopularité


Propagation :

• VK, Telegram, X

• Reprises par des comptes influents (certains affiliés ou anciens collaborateurs de RT France)


Synthèse : L’érosion organisée d’un symbole exécutif


Ces cinq récits, en apparence distincts, convergent dans une dynamique stratégique : faire d’Emmanuel Macron le vecteur du rejet, de la rupture, et du doute. Ils ne cherchent pas à proposer une alternative, mais à fragiliser la position française dans son propre débat démocratique comme sur la scène internationale.


Ce phénomène appelle une réponse institutionnelle : non pas en défendant une personne, mais en protégeant la fonction présidentielle comme colonne vertébrale de la souveraineté nationale.

  1. Étude de cas : l’épisode de la fausse “cocaïne présidentielle” (avril 2024)


3.1 Contexte et diffusion initiale


En avril 2024, une rumeur a circulé sur Telegram et X (ancien Twitter) affirmant que de la cocaïne aurait été retrouvée à l’Élysée, directement liée au président Macron. Ce récit a émergé via des comptes anonymes, souvent affiliés à des sphères prorusses, puis relayé par des influenceurs populistes français, sans vérification préalable.

• Canal Telegram : à l’origine d’un graphique affirmant “cocaïne à l’Élysée”, partagé dans des groupes pro-Kremlin.

• Propagation sur X : hashtags tels que #MacronCocaineGate, articles viraux reprenant la photo d’un faux sachet — déjà débunkée par des médias fact-checking.



3.2 Amplification dans les réseaux numériques

• YouTube et vidéos complotistes : passages circulent sur des chaînes comme ReinfoLib, analysant cela comme “preuve de dérive”.

• Chaînes Telegram francophones : relais en masse dès avril 2024 avec plus de 50 000 vues cumulées.

• Réseau X : pics d’engagement significatifs autour du narrative, jusqu’à 10 300 interactions sur certaines publications.



3.3 Reprise dans une partie de l’espace médiatique


Bien que démenti officiellement, ce récit a été repris sans précaution dans certains médias alternatifs :

• France Soir : publication d’un article titré “Cocaïne à l’Elysée : les preuves photographiques” le 10 avril 2024, sans vérification indépendante.

• CNEWS (plateau Zemmour) : mention d’“informations troublantes” et suggestion de complot — sans contrastes.



3.4 Débunking officiel et réponse institutionnelle

• Décret du porte-parole du gouvernement (12 avril 2024) : dément formellement la rumeur et annonce une « enquête interne ».

• Fact-checking par Checknews (Libération) et AFP : démontent la supercherie en moins de 24 heures, soulignent que le sachet de poudre n’a jamais été authentifié, ni contextualisé.


Mais malgré ce retour médiatique, la rumeur continue de générer des reprises en ligne, souvent sans référence aux rectifications officielles.



3.5 Analyse stratégique de l’affaire

1. Disparité entre viralité et correction : la rumeur s’est propagée bien plus rapidement et largement que les corrections, qui sont restées circonscrites à quelques médias traditionnels.

2. Utilisation d’images détachées de leur contexte : le sachet n’est pas attribué à l’Élysée, mais l’effet visuel suffit à créer le doute.

3. Temps de correction trop lent : plus de 48 h se sont écoulées avant les démentis précis (Ministère + médias officiels).

4. Effet narratif persistant : certaines vidéos continuent d’être partagées malgré les rectificatifs — l’ancrage mémoriel de la rumeur perdure.



3.6 Graphique proposé

• Courbe de diffusion : comparaison entre le pic de la rumeur (mars-avril 2024) et le pic des correctifs officiels (avril‑mai 2024).

• Tableau : comparaison des engagements (likes, partages) entre fausse information et rétractation officielle.


Synthèse 3


Cette affaire illustre à la fois la vulnérabilité immédiate d’un récit choc, et le temps insoutenable entre transmission de la fausse information et correction. Elle met en lumière la nécessité d’une sensibilité collective accrue face aux mécanismes hybrides de la guerre informationnelle, notamment lorsqu’elle s’attaque directement à la fonction présidentielle.


  1. Plateformes numériques, influence algorithmique et diffusion virale


Amplification des récits d’ingérence dans l’écosystème numérique


4.1 YouTube : la radicalisation algorithmique “step by step”


YouTube compte aujourd’hui plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, et son algorithme de recommandation favorise les contenus à fort engagement . Plusieurs études indépendantes — notamment du projet Arxiv (2019) — montrent que les utilisateurs exposés à des vidéos modérées sont progressivement orientés vers des contenus plus extrêmes, contribuant à la création de bulles narratives radicales. Ces dynamiques d’engrenage progressif permettent à des contenus d’influence (souvent prorusses ou anti‑OTAN) de se diffuser indirectement au sein de l’écosystème français, sans que les chaînes officielles en soient les émetteurs initiaux .



4.2 X (ex‑Twitter) : la puissance virale utilisée comme levier narratif


La plateforme X est particulièrement vulnérable à la diffusion de récits manipulatoires en raison de la rapidité de partage et des amplificateurs automatiques. L’opération “Doppelgänger”, décrite comme une campagne coordonnée de faux comptes se faisant passer pour des médias sérieux français, en est l’exemple le plus documenté . En quelques heures, une allégation (souvent partiellement fausse) peut toucher des dizaines de milliers de personnes, avant que des corrections officielles n’aient le temps d’intervenir.



4.3 TikTok : viralité, courtes vidéos et influence translucide


L’algorithme extrêmement opaque de TikTok est régulièrement pointé du doigt par le Sénat français pour son opacité et sa capacité à amplifier des contenus polarisants jusqu’à “boule de neige virale” . Conçue pour retenir l’attention dès les premières secondes, la plateforme peut propager des récits d’ingérence — même partiels ou contextuellement limités — à des millions de jeunes utilisateurs en quelques jours. Cette dimension “jeunesse et viralité” en fait l’un des nouveaux terrains de la guerre informationnelle.



4.4 Telegram et les chaînes cryptées : diffusion hors-circuit


Les groupes Telegram, souvent anglophones ou liés à la sphère prorusse, jouent un rôle essentiel dans la mise en circulation initiale des récits stratégiques (RT France avant sa fermeture, recadrements vacillants, désinformation ciblée). Leur chiffrement limite la régulation et rend la détection par les organes de contrôle traditionnels très difficile . Ce canal est souvent utilisé pour “amorcer” la rumeur — ensuite reprise sur X ou YouTube — par un effet de ricochet.



4.5 Bulles informationnelles : les recommandations au service de l’ingérence


Les plateformes utilisent des algorithmes de recommandation basés sur l’engagement : l’historique de visionnage, les interactions et les durées d’attention génèrent des profils d’utilisateur qui se retrouvent enfermés dans des “bulles”. Cette architecture creuse l’impact de l’ingérence par répétition et confirmation, faisant circuler des récits à orientation pro-russe ou anti-occidentale sans nécessiter de manipulation humaine directe.



4.6 Conséquences structurelles

• Temporalité asymétrique : la diffusion initiale précède largement la correction.

• Engagement sur méfiance : les contenus polarisants obtiennent beaucoup plus d’interactions que les contenus factuels.

• Effet de normalisation numérique : des récits autresfois marginaux acquièrent une légitimité par leur surfacing algorithmique, qui est perçu comme preuve d’audience.



Synthèse 4


Les plateformes numériques — YouTube, X, TikTok, Telegram — ne sont pas de simples canaux passifs. Elles opèrent comme des accélérateurs structurels de récits d’ingérence étrangère, par leurs designs algorithmiques et leur architecture de recommandation.

Face à cette réalité, la réponse ne peut être qu’institutionnelle : transparence algorithmique, régulation adaptée, et coopération entre médias, chercheurs et pouvoirs publics pour rétablir des frictions sémantiques et limiter l’effet de chambre d’écho.


Synthèse finale


L’étude révèle une dynamique inquiétante : les récits d’ingérence étrangère, qu’ils émergent des sphères russes, chinoises ou des plateformes numériques, adoptent désormais une stratégie de personnalisation des attaques. Emmanuel Macron, par sa position au sommet de l’État et son rôle central dans la diplomatie européenne, est devenu une cible privilégiée pour affaiblir la cohésion démocratique française et la crédibilité européenne.



 Principaux enseignements

• Ciblage systémique : les récits hostiles ne se contentent pas de critiquer les politiques publiques. Ils visent la personne, la légitimité et l’image du président.

• Narration sophistiquée : entre faits partiels et insinuations, chaque récit est construit pour formuler une “vérité alternative” particulièrement virale.

• Cycle narratif asymétrique : la viralité de la rumeur et la lenteur des corrections montrent un déséquilibre dangereux dans l’espace informationnel.



 Recommandations finales pour la résilience démocratique

1. Renforcement de la surveillance des récits politiques

• Instaurer un observatoire OSINT en temps réel pour détecter les récits ciblés contre la fonction présidentielle.

2. Stratégie de réponse rapide

• Créer un “cellule flash” médiatique pour réagir en moins de 24 heures aux rumeurs à fort potentiel viral.

3. Éducation citoyenne

• Mettre en place des campagnes grand public sur la désinformation lors d’épisodes de crise politique.

4. Partenariat média-institution

• Favoriser une collaboration entre médias mainstream, fact-checkers et autorités pour contextualiser en temps réel les narrations virales.


La bataille pour l’image présidentielle est devenue un champ de bataille d’influence. Elle ne connaît pas de frontière entre le national et l’international, le fond et l’émotion. L’État, les médias et la société civile ont aujourd’hui une responsabilité partagée : protéger la fonction présidentielle comme garant de la souveraineté et de la stabilité démocratique, face à des stratégies d’ingérence subtiles et persistantes.



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