top of page

Médias français et influence étrangère : une guerre d’information à découvert

Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS) publie la présente étude pour documenter, analyser et anticiper les nouvelles formes d’ingérence informationnelle ciblant les médias français. Dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine, la recomposition des alliances géopolitiques, et la montée des conflits d’influence à bas bruit, l’espace médiatique devient un théâtre stratégique à part entière.


Cette étude repose sur l’observation systématique de cinq dynamiques croisées :

1. La diffusion de récits structurés par des puissances étrangères (Russie, Chine, Iran…) ;

2. La porosité croissante de certains segments médiatiques à ces récits, parfois sans en avoir conscience ;

3. Le rôle des plateformes numériques dans l’amplification algorithmique de récits polarisants ;

4. La reconfiguration des réseaux d’influence post-RT France, au travers d’intervenants recyclés ou relocalisés ;

5. Et les défis démocratiques posés par cette guerre d’image et de sens.


L’ambition du CESS n’est pas de désigner des coupables, mais de fournir aux institutions, aux journalistes, aux citoyens et aux partenaires européens des clés de lecture claires, documentées et opérationnelles. Face à une guerre informationnelle qui ne dit pas son nom, seule une vigilance collective permet de préserver la souveraineté démocratique.


Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS) publie la présente étude pour documenter, analyser et anticiper les nouvelles formes d’ingérence informationnelle ciblant les médias français. Dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine, la recomposition des alliances géopolitiques, et la montée des conflits d’influence à bas bruit, l’espace médiatique devient un théâtre stratégique à part entière.
L’ambition du CESS n’est pas de désigner des coupables, mais de fournir aux institutions, aux journalistes, aux citoyens et aux partenaires européens des clés de lecture claires, documentées et opérationnelles. Face à une guerre informationnelle qui ne dit pas son nom, seule une vigilance collective permet de préserver la souveraineté démocratique.


  1. Les vulnérabilités systémiques des médias français face à l’ingérence informationnelle


Dans un paysage géopolitique marqué par l’intensification des menaces hybrides, les médias occupent une position doublement stratégique. D’un côté, ils incarnent une digue démocratique contre les récits mensongers, la manipulation des faits et la désinformation. De l’autre, ils peuvent devenir — volontairement ou involontairement — des vecteurs de déstabilisation lorsqu’ils se trouvent exposés à des logiques de récupération narrative, de parasitage éditorial ou de relais idéologique. En France, cette tension est particulièrement vive. Le système médiatique, historiquement dense et pluraliste, est aujourd’hui confronté à plusieurs vulnérabilités systémiques qui rendent certains de ses segments perméables aux influences étrangères.


1.1 Concentration économique et fragilisation de l’indépendance éditoriale


La concentration croissante du paysage médiatique français est l’un des facteurs majeurs de vulnérabilité stratégique. Huit milliardaires contrôlent à eux seuls près de 90 % de la presse quotidienne nationale et plusieurs groupes audiovisuels majeurs. Vincent Bolloré, à travers le groupe Vivendi, possède notamment Canal+, CNEWS, Europe 1, Paris Match et JDD — autant de relais dont l’orientation éditoriale s’est radicalement repositionnée sur des lignes idéologiques souverainistes, anti-immigration et eurosceptiques. Si ce repositionnement relève du droit légitime d’un actionnaire à définir une ligne éditoriale, il produit cependant un terrain favorable à certains récits portés également par des puissances étrangères telles que la Russie ou la Chine : critique des élites européennes, remise en cause de l’OTAN, dénonciation du mondialisme, méfiance à l’égard des interventions occidentales.


La dépendance croissante de certains médias à des financements privés à visée idéologique ou politique, dans un contexte de déclin de la publicité traditionnelle, renforce cette tendance. L’indépendance éditoriale est ainsi exposée non pas à une censure directe, mais à un redéploiement progressif des sujets traités, du choix des invités et de la construction de l’agenda.


Sources : Observatoire des médias Acrimed ; Arcom, “État de la concentration dans les médias français”, 2023.



1.2 Pression du temps médiatique et désintermédiation numérique


Le cycle de l’information s’est accéléré au point de créer un écosystème où la priorité n’est plus l’analyse ou la vérification, mais la captation de l’attention. Cette dynamique entraîne une fragilisation des mécanismes de contrôle éditorial et de hiérarchisation des sources. Dans ce contexte, les opérations d’influence étrangère — notamment via des bots, des comptes relais ou des sites-miroirs — peuvent facilement infiltrer l’agenda médiatique, en particulier sur les plateaux d’information continue, où le temps de préparation des émissions est réduit.


Par ailleurs, la désintermédiation, accentuée par les réseaux sociaux, a fait émerger de nouveaux canaux d’information où les journalistes ne sont plus les seuls gatekeepers. Les plateformes comme YouTube, X (ex-Twitter), Rumble ou Odysee, bien qu’extérieures aux rédactions traditionnelles, influencent désormais la tonalité des sujets traités. Des narratifs construits dans des cercles d’influence idéologiques russes, chinois ou iraniens peuvent ainsi être repris dans les grands médias via des figures invitées, des polémiques virales ou des hashtags manipulés.



1.3 Vulnérabilités de réseau : croisements éditoriaux et héritages discrets


Une troisième forme de vulnérabilité tient aux connexions humaines et affinités professionnelles entre certains journalistes, chroniqueurs, programmateurs et figures ayant travaillé ou collaboré avec des organes étrangers d’influence. Plusieurs anciens intervenants ou collaborateurs de RT France ou Sputnik se sont repositionnés sur des chaînes françaises, radios ou chaînes YouTube mainstream, sans que leur trajectoire passée ne soit toujours rendue publique. Le programmateur de Jean-Marc Morandini sur CNEWS, également programmateur pour RT France avant sa suspension, est un exemple de ces ponts invisibles entre sphères informationnelles étrangères et françaises.


Ces reconfigurations posent la question non pas de la loyauté individuelle, mais de la continuité implicite des récits, de la culture de l’invitation, et de la normalisation progressive de discours historiquement extérieurs à la doctrine républicaine ou européenne.



1.4 Absence d’un observatoire indépendant de la vulnérabilité médiatique


Contrairement à d’autres démocraties comme l’Allemagne, les États-Unis ou les pays baltes, la France ne dispose pas d’un observatoire indépendant du risque informationnel appliqué aux médias. L’Arcom régule les questions de pluralisme, mais ne publie pas d’indicateurs réguliers sur la présence de narratifs hostiles à la démocratie ou à l’ordre européen. Les ONG comme Reporters Sans Frontières, DisinfoLab ou EUvsDisinfo sont utiles, mais non étatiques. Cela rend la traçabilité des phénomènes de porosité difficile à établir de manière officielle.


La vulnérabilité ne vient pas ici d’une intention malveillante, mais d’une absence de doctrine préventive, d’un vide stratégique entre liberté de la presse et guerre informationnelle.



1.5 En résumé


Le paysage médiatique français, bien qu’encadré juridiquement, présente plusieurs failles systémiques qui le rendent exposé à l’ingérence informationnelle :

• concentration verticale,

• alignement éditorial idéologique de certains groupes,

• pression du flux,

• croisements d’acteurs entre sphères étrangères et nationales,

• et absence de cadre d’analyse stratégique.


Ces vulnérabilités ne sont pas propres à la France, mais leur combinaison dans le contexte hexagonal crée un terrain fertile pour l’infiltration de récits géopolitiques hostiles.


2. Les récits d’ingérence étrangère dans le paysage médiatique français


Typologies, vecteurs, amplifications et alignements narratifs


L’objectif de ce chapitre n’est pas de cartographier les intentions des médias français, mais d’analyser les récits d’influence étrangère les plus fréquemment relayés ou amplifiés, volontairement ou involontairement, dans l’espace médiatique national. Ces récits ont été identifiés par plusieurs observatoires européens de la désinformation (EUvsDisinfo, EU DisinfoLab, Arcom, RSF) comme des vecteurs majeurs de la guerre informationnelle, notamment en provenance de la Russie, de la Chine, de l’Iran ou de la Turquie. Ils constituent des narratifs structurants, conçus pour affaiblir la cohésion démocratique, fracturer les opinions publiques, décrédibiliser les institutions, et faire avancer des objectifs géopolitiques contraires à ceux de l’Union européenne.



2.1 Narratif 1 — L’Ukraine comme théâtre de la “provocation occidentale”


Ce récit, d’inspiration russe, vise à inverser la charge de la responsabilité dans l’invasion de l’Ukraine. Il présente l’OTAN comme l’agresseur, les États-Unis comme les manipulateurs du conflit, et l’Ukraine comme un pion corrompu ou néonazi. Ce narratif s’appuie sur des réseaux de comptes relayant des extraits de plateaux télévisés français, mais aussi sur des personnalités invitées à la fois sur RT France, CNEWS, Sud Radio ou dans des émissions YouTube à forte audience (Perrin, Escada, Mukwege).


Selon EUvsDisinfo, ce récit représentait plus de 31 % des messages analysés dans la presse russe francophone entre 2022 et 2024.


Relais dans les médias français : débats sur la livraison d’armes, reportages mettant en scène la fatigue ukrainienne, relativisation de la guerre comme “conflit régional”, mise en cause de Zelensky comme acteur “marketing”.


Sources : EUvsDisinfo (2024), RSF – “Ukraine dans les médias français” (2023), DisinfoLab – Recodex Report.




  1. Les récits d’ingérence étrangère dans le paysage médiatique français


Typologies, vecteurs, amplifications et alignements narratifs


L’objectif de ce chapitre n’est pas de cartographier les intentions des médias français, mais d’analyser les récits d’influence étrangère les plus fréquemment relayés ou amplifiés, volontairement ou involontairement, dans l’espace médiatique national. Ces récits ont été identifiés par plusieurs observatoires européens de la désinformation (EUvsDisinfo, EU DisinfoLab, Arcom, RSF) comme des vecteurs majeurs de la guerre informationnelle, notamment en provenance de la Russie, de la Chine, de l’Iran ou de la Turquie. Ils constituent des narratifs structurants, conçus pour affaiblir la cohésion démocratique, fracturer les opinions publiques, décrédibiliser les institutions, et faire avancer des objectifs géopolitiques contraires à ceux de l’Union européenne.



2.1 Narratif 1 — L’Ukraine comme théâtre de la “provocation occidentale”


Ce récit, d’inspiration russe, vise à inverser la charge de la responsabilité dans l’invasion de l’Ukraine. Il présente l’OTAN comme l’agresseur, les États-Unis comme les manipulateurs du conflit, et l’Ukraine comme un pion corrompu ou néonazi. Ce narratif s’appuie sur des réseaux de comptes relayant des extraits de plateaux télévisés français, mais aussi sur des personnalités invitées à la fois sur RT France, CNEWS, Sud Radio ou dans des émissions YouTube à forte audience (Perrin, Escada, Mukwege).


Selon EUvsDisinfo, ce récit représentait plus de 31 % des messages analysés dans la presse russe francophone entre 2022 et 2024.


Relais dans les médias français : débats sur la livraison d’armes, reportages mettant en scène la fatigue ukrainienne, relativisation de la guerre comme “conflit régional”, mise en cause de Zelensky comme acteur “marketing”.


Sources : EUvsDisinfo (2024), RSF – “Ukraine dans les médias français” (2023), DisinfoLab – Recodex Report.



2.2 Narratif 2 : L’OTAN comme empire occidental et déstabilisateur


Ce récit présente l’Alliance atlantique non pas comme un outil de défense collective, mais comme un instrument de domination anglo-saxonne, à l’origine de guerres (Yougoslavie, Irak, Libye) et de tensions en Europe de l’Est. Très utilisé par la propagande russe et chinoise, il trouve parfois un écho indirect dans les discours médiatiques français, notamment par des invités proches de la mouvance souverainiste, de l’extrême droite ou de l’extrême gauche.


Exemples d’éléments de langage relayés sur certains plateaux :

• “L’OTAN cherche la guerre avec la Russie.”

• “La France ne devrait pas être otage d’une alliance américaine.”

• “Ce sont les États-Unis qui veulent l’escalade.”


Données : EU DisinfoLab recense une croissance de 42 % des récits anti-OTAN dans les médias francophones affiliés à des États étrangers entre 2022 et 2023.


Plateformes d’amplification observées : CNEWS, Sud Radio, France Soir, Odysee, Chronique de la dissidence (YouTube).



2.3 Narratif 3 : L’Union européenne comme structure technocratique corrompue


Ce discours vise à affaiblir la légitimité de l’Union européenne, à la présenter comme un empire bureaucratique, incompétent et moralement corrompu. Il est porté autant par des émetteurs russes que chinois ou iraniens, et relayé en France dans certains médias critiques de la construction européenne, souvent sur fond de souverainisme économique ou d’identité culturelle menacée.


Eléments fréquents :

• “L’Europe est soumise à Washington.”

• “Bruxelles impose une dictature sanitaire/écologique.”

• “Le Parlement européen est gangrené par les lobbies.”


Exemple d’ingérence avérée : l’affaire du QatarGate, instrumentalisée par les médias russes et iraniens comme “preuve” de la corruption endémique des institutions européennes, et reprise dans certains médias français sans contextualisation.


Sources : Le Monde, EU DisinfoLab, European Parliament Special Report (2023).



2.4 Narratif 4 : Le choc civilisationnel : islamisme vs déclin occidental


Ce récit fonctionne sur deux niveaux :

• D’un côté, des médias russes ou turcs promeuvent l’idée d’un Occident décadent, soumis à une perte de repères, incapable de faire face à l’islamisme ou à l’immigration.

• De l’autre, ces mêmes acteurs peuvent instrumentaliser l’islamophobie pour affaiblir la cohésion des sociétés démocratiques.


En France, ces récits sont souvent repris à travers des polémiques de plateau, des faits divers hypermédiatisés ou des débats sur l’école, les quartiers, la laïcité.


Figures amplificatrices indirectes : certains chroniqueurs récurrents sur CNEWS, Sud Radio, Valeurs Actuelles, ou dans des podcasts alternatifs reprennent des formulations identiques à celles analysées par EUvsDisinfo ou Sputnik France.




2.5 Narratif 5 : La critique du mondialisme et des élites européennes


Dernier pilier : le récit “anti-mondialiste” qui associe l’ensemble des institutions internationales, ONG, médias, chercheurs et politiques à une élite déconnectée, manipulatrice, voire malveillante. C’est le discours central de la propagande russe et de certains cercles influencés par la Chine ou l’Iran.


Éléments de langage fréquents :

• “Les mondialistes veulent dissoudre les nations.”

• “Les élites veulent imposer une pensée unique.”

• “Les peuples européens doivent reprendre leur souveraineté.”


Réseaux de diffusion : YouTube souverainiste, RT France (jusqu’en 2022), certaines tribunes sur Causeur, France Soir, Boulevard Voltaire, ReinfoLib.


Données : selon EU DisinfoLab, 70 % des récits anti-élite ou anti-UE diffusés dans les sphères prorusses sont partiellement relayés en France, via au moins un relais médiatique ou numérique indirect.



Synthèse 2 : Une normalisation de récits étrangers dans l’écosystème français


L’analyse de ces cinq récits montre que la guerre de l’information ne se mène pas uniquement à travers des attaques spectaculaires ou des fake news visibles, mais aussi par la répétition de récits cohérents, crédibles en surface, mais géopolitiquement orientés. Ces récits ne visent pas à convaincre directement, mais à épuiser la vérité, fragmenter le réel, fragiliser la confiance démocratique.


Le paysage médiatique français, soumis à des pressions économiques, éditoriales et idéologiques, est aujourd’hui exposé à cette stratégie d’érosion narrative. Il ne s’agit pas d’accuser les journalistes ou les rédactions, mais de documenter les porosités systémiques et d’appeler à une réflexion lucide sur la souveraineté informationnelle.



  1. Figures médiatiques et continuités de réseau après RT France


Réalignements, recyclages et normalisation des récits prorusses


Lorsque RT France a été suspendue en mars 2022, après l’invasion de l’Ukraine, la plupart des figures médiatiques associées à sa ligne éditoriale se sont repositionnées. Cette suspension n’a pas conduit à une disparition des récits soutenus par la Russie, mais à leur reconfiguration à travers d’autres canaux médiatiques, souvent français, parfois numériques. Il ne s’agit pas ici d’accuser des individus, mais de documenter des continuités de présence, de style et de narration, à partir d’une analyse de surface des réseaux professionnels, éditoriaux et numériques.



3.1 La chute de RT France et le déplacement des récits


RT France a cessé d’émettre après une décision du Conseil de l’Union européenne, validée par le Conseil d’État français, justifiée par son rôle de propagande en faveur d’un État belligérant. L’arrêt de la chaîne n’a pas mis fin à l’écosystème. De nombreux chroniqueurs, intervenants, producteurs et programmateurs se sont réorientés vers :

• Des chaînes françaises privées (Sud Radio, CNEWS)

• Des plateformes YouTube “alternatives” (Odysee, Rumble, etc.)

• Des médias numériques (France Soir, Boulevard Voltaire, Causeur, Breizh Info)


Ce phénomène correspond à ce que l’on pourrait appeler un “recyclage d’influence par déplacement de support”. Les narratifs, le ton, la posture “dissidente” ou “contre-système” sont conservés, mais transvasés dans des environnements médiatiques plus tolérés ou intégrés dans le champ national.



3.2 Réseaux et trajectoires post-RT : éléments OSINT


L’analyse de sources ouvertes permet d’identifier plusieurs profils ayant basculé de RT vers d’autres plateformes :

• Certains ex-animateurs de RT France sont désormais intervenants réguliers sur Sud Radio ou sur des chaînes YouTube francophones à forte audience (plus de 100 000 abonnés)

• Des programmateurs passés par RT collaborent désormais à la production d’émissions sur CNEWS, en particulier dans les formats d’“actualité non-conformiste”

• Des anciens chroniqueurs prorusses sont désormais auteurs de tribunes dans France Soir, Breizh Info ou Le Courrier des Stratèges


Cette dynamique n’est pas clandestine : elle est souvent revendiquée, mais elle témoigne d’une continuité de positionnement idéologique et d’un certain alignement géopolitique indirect, souvent sous couvert d’indépendance d’esprit ou d’anticonformisme.


Source : EU DisinfoLab, RSF (2023), médias observés : Sud Radio, CNEWS, France Soir, YouTube (ReinfoLib, Grand Angle, Strategika, etc.)



3.3 Figures et formats : entre légitimation et dilution


Ce transfert ne se limite pas aux personnes. Il concerne aussi des formats de diffusion hérités de RT :

• “Face-à-face” polarisés

• Entretiens longs sans contradicteur

• Mise en scène du “courage de dire la vérité” ou du “tabou brisé”

• Choix d’invités issus du monde militaire, diplomatique ou pseudo-académique pour valider des récits anti-occidentaux


Exemples analysés :

• Des vidéos RT France rééditées et rediffusées par des chaînes YouTube avec nouvelle voix-off ou bandeau différent

• Des séquences CNEWS ou Sud Radio partagées sur Telegram ou VKontakte dans des groupes prorusses comme preuves que “la vérité finit par émerger en France”

• Des plateaux où les questions posées aux invités proches de ces sphères reproduisent la structure argumentative de la propagande russe (remise en cause de l’OTAN, relativisation de l’invasion, disqualification de l’UE, etc.)



3.4 Le “narratif sans drapeau” : l’influence par capillarité


Une caractéristique majeure du post-RT est la naissance d’un “narratif sans drapeau” :

Les récits prorusses ne sont plus attribués à Moscou, mais répandus de façon diffuse, réappropriés par des commentateurs, des éditorialistes ou des influenceurs comme des “opinions personnelles”, ce qui rend leur traçabilité plus complexe.


Cela donne naissance à des récits :

• sans émetteur officiel,

• sans propagande visible,

• mais portant les mêmes effets de désinformation que ceux construits à l’étranger.


Conséquence :

La guerre informationnelle franchit un nouveau seuil : celui de l’influence intégrée dans les dynamiques internes d’un pays, sans avoir besoin d’attaques directes ou de canaux identifiés comme “ennemis”.



3.5 Enjeux démocratiques et flou stratégique


Ce phénomène pose une question stratégique de fond : comment réguler ou alerter sur des récits dont les auteurs sont nationaux, mais dont les origines idéologiques sont étrangères ? Le droit ne permet pas de sanctionner une opinion, et c’est heureux. Mais la vigilance stratégique, elle, peut nommer les logiques à l’œuvre, établir des cartes de trajectoires, croiser les appartenances éditoriales, et proposer un cadre d’alerte OSINT sur les proximités dangereuses.



Synthèse 3 : Continuités invisibles et dérive des récits


La suspension de RT France n’a pas mis fin à l’ingérence informationnelle prorusse dans l’espace médiatique français. Elle en a simplement modifié les chemins. L’essentiel n’est plus dans l’émetteur, mais dans la capacité à fragmenter la cohésion démocratique par la répétition, la normalisation et l’intégration d’éléments de langage produits ailleurs. Cette guerre d’influence douce ne se déclare pas : elle s’infiltre. C’est là toute sa force. Et toute notre responsabilité d’en établir les contours.


  1. Plateformes numériques, influence algorithmique et diffusion virale


L’amplification des récits d’ingérence à l’ère des algorithmes


Les plateformes numériques sont devenues des vecteurs majeurs de diffusion des récits d’ingérence étrangère. Leur architecture algorithmique favorise la viralité de contenus polarisants, souvent au détriment de la véracité. Ce chapitre analyse comment les algorithmes de recommandation de plateformes comme YouTube, X (ex-Twitter), TikTok et Telegram contribuent à la propagation de récits d’influence, en s’appuyant sur des données issues de rapports récents.



4.1 YouTube : une radicalisation algorithmique progressive


YouTube, avec ses 2 milliards d’utilisateurs mensuels, utilise un algorithme de recommandation qui favorise l’engagement. Des études ont montré que cet algorithme peut conduire les utilisateurs vers des contenus de plus en plus extrêmes. Par exemple, une étude de 2019 a révélé que les utilisateurs exposés à des contenus modérés étaient progressivement dirigés vers des vidéos plus radicales, créant ainsi un effet de « chambre d’écho » .



4.2 X (ex-Twitter) : la viralité des récits d’ingérence


X, plateforme de microblogging, est particulièrement vulnérable à la diffusion rapide de désinformation. Des campagnes coordonnées, comme l’opération Doppelgänger, ont utilisé des comptes fictifs pour diffuser de fausses informations, en usurpant l’identité de médias français tels que Le Monde ou Le Figaro . Ces opérations exploitent les mécanismes de retweet et les tendances pour maximiser la portée de leurs messages.



4.3 TikTok : l’opacité algorithmique et la manipulation de l’information


TikTok, avec son algorithme de recommandation opaque, présente des risques en matière de désinformation. Le Sénat français a souligné l’opacité de cet algorithme et son potentiel à amplifier des contenus polarisants . La plateforme est également accusée de favoriser la diffusion de contenus alignés avec les intérêts de certains États, en raison de son origine chinoise.



4.4 Telegram : un canal privilégié pour la désinformation


Telegram, application de messagerie chiffrée, est devenue un outil privilégié pour la diffusion de désinformation. Des campagnes d’ingérence ont utilisé Telegram pour coordonner la diffusion de fausses informations, en particulier lors d’événements sensibles comme les élections . La nature privée et chiffrée de la plateforme rend difficile la détection et la régulation de ces activités.



4.5 L’effet des bulles informationnelles


Les algorithmes de recommandation de ces plateformes créent des bulles informationnelles, où les utilisateurs sont exposés à des contenus similaires à leurs préférences existantes. Ce phénomène renforce les convictions existantes et réduit l’exposition à des points de vue divergents, facilitant ainsi la propagation de récits d’ingérence.



Synthèse 4 : Vers une régulation algorithmique


La propagation des récits d’ingérence étrangère est amplifiée par les algorithmes de recommandation des plateformes numériques. Une régulation plus stricte de ces algorithmes, ainsi qu’une transparence accrue sur leur fonctionnement, sont nécessaires pour protéger l’espace informationnel français. Des initiatives comme celles de l’Union européenne, visant à encadrer les pratiques des plateformes, constituent des étapes importantes dans cette direction.




  1. Stratégies de résilience et renforcement de la souveraineté informationnelle


Vers un écosystème médiatique français et européen plus solide face aux ingérences



5.1 Instaurer un observatoire national de l’intégrité informationnelle


Pour combler l’absence de suivi systématique de la vulnérabilité médiatique en France, il est indispensable de créer un organe dédié, à la fois technique, ouvert et indépendant :

• Mission : mesurer en continu la porosité des médias aux récits d’ingérence, recenser les récits potentiellement hostiles, publier des indicateurs de vulnérabilité (taux d’invitations croisées, part de contenus polarisants, origine des sources).

• Gouvernance : pilotage mixte État–Parlement–societé civile (ONG, chercheurs, syndicats de journalistes), pour garantir la pluralité et l’impartialité.

• Outils : plateformes OSINT partagées, bases de données publiques, API de sondage automatique des réseaux sociaux, partenariats avec des universités (data science, sciences de l’information).


Ce Centre national d’intégrité informationnelle agirait comme un observatoire et un alerteur, fournissant des rapports trimestriels, des cartographies à jour et des recommandations opérationnelles aux médias et aux décideurs publics.



5.2 Renforcer la transparence éditoriale et la traçabilité des invités


La lutte contre les narratifs étrangers commence par la mise en lumière des parcours et affiliations des personnalités médiatiques :

1. Charte de transparence des médias : obligation pour chaque chaîne ou radio d’afficher, en ligne, les « parcours et liens d’intérêt » de leurs principaux animateurs et chroniqueurs (anciennes collaborations, positions officielles, financements).

2. Registre public des invités : plateforme où l’on retrouverait, pour chaque invité régulier, ses principales affiliations académiques, associatives, économiques ou politiques, mise à jour annuellement.

3. Signalétique des émissions : icônes discrètes indiquant si un programme a recours à au moins 30 % de personnalités issues de réseaux non transparents ou à des récits d’influence identifiés.


Ces mesures participeraient à responsabiliser à la fois les médias et les téléspectateurs, favorisant un écosystème plus vigilant.



5.3 Développer la capacité OSINT des rédactions


Pour réagir plus vite aux opérations d’influence, les rédactions doivent se doter de cellules internes ou frugales capables de mener des analyses OSINT :

• Formations courtes pour journalistes : identification de comptes bots, vérification d’images (reverse image search), analyse de réseaux d’influence sur Telegram ou WhatsApp.

• Accès à des outils collaboratifs : wikis internes, dashboards partagés, alertes automatisées sur mots-clés sensibles (OTAN, Ukraine, mondialisme).

• Partenariats avec universitaires et laboratoires pour bénéficier de méthodologies rigoureuses et de validations croisées.


Ces dispositifs permettraient de détecter et déconstruire les récits d’ingérence avant qu’ils ne deviennent viraux.



5.4 Encadrer les algorithmes et favoriser la diversité des sources


Les plateformes numériques doivent être régulées pour briser les bulles informationnelles :

• Obligation de transparence algorithmique : publication de rapports annuels sur les critères de recommandation et l’impact sur la viralité de contenus polarisants.

• Audit indépendant : audits périodiques par un comité d’experts (data scientists, sociologues, juristes) dont les conclusions seraient publiques.

• Promotion de la diversité : incitation à recommander, en miroir, des contenus contraires aux centres d’intérêt habituels, pour exposer les utilisateurs à plusieurs points de vue.


En parallèle, les médias traditionnels devraient élargir leur choix de sources et collaborer avec des éditeurs locaux, des ONG et des fact-checkers pour offrir un écosystème pluriel et robuste.



5.5 Éduquer les citoyens à la résilience informationnelle


La dernière ligne de défense, c’est l’audience :

• Programmes scolaires : introduction à l’esprit critique numérique dès le collège, avec des ateliers pratiques de vérification d’informations.

• Campagnes de sensibilisation : spots courts, infographies, webinaires pour expliquer les mécanismes de la désinformation et les bonnes pratiques (vérifier la source, croiser l’information).

• Labellisation de la « Résilience Informationnelle » : certification pour les médias et les sites web qui respectent un cahier des charges (transparence, pluralité, fact-checking).


Cette approche participative favoriserait une culture démocratique proactive, où chaque citoyen devient acteur de la vigilance informationnelle.



Synthèse 5 , Vers une doctrine française et européenne de souveraineté informationnelle


Les ingérences étrangères ne sont pas une fatalité. En combinant :

1. Des instances d’observation et d’alerte (observatoire national),

2. Des règles de transparence (invités, éditoriale),

3. Des capacités OSINT renforcées,

4. Une régulation des algorithmes,

5. Une éducation citoyenne,


La France, et plus largement l’Europe, peut retrouver et consolider sa souveraineté informationnelle.


Le CESS propose que ces cinq axes forment le cœur d’une nouvelle doctrine de résilience démocratique, agile, partagée et prête à affronter les prochains défis de la guerre d’influence.

Kommentare


bottom of page