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Petite scène, grande mécanique : quand les réseaux transforment un geste banal en outil de guerre informationnelle

Par le Centre européen pour la vigilance stratégique et la lutte contre l’ingérence, Mai 2025


La scène de l’aéroport de Hanoï n’est pas un drame. Elle n’est même pas, en soi, un sujet politique. Mais elle est devenue un symbole de la fragilité de l’espace public face aux dynamiques virales et manipulatoires.
Le couple MACRON en visite au Vietnam descend de l'avion à l’aéroport de Hanoï

L’espace public numérique n’a jamais été aussi vulnérable aux dynamiques de manipulation, d’exagération et d’ingérence. Ce qui s’est récemment produit autour d’une vidéo filmée à la descente de l’avion présidentiel au Vietnam en constitue une illustration limpide.


À première vue, la scène est banale : Emmanuel Macron descend les marches de son avion, suivi de son épouse, Brigitte Macron. Elle semble lui faire un geste rapide au visage — certains y voient une caresse, d’autres une légère tape, d’autres encore parlent d’un « claquement ». En quelques heures, la vidéo devient virale. Sortie de son contexte, elle est interprétée, moquée, amplifiée, transformée. Un simple échange privé devient une « gifle » politique, un micro-événement transformé en polémique mondiale.


Mais derrière le buzz, c’est une mécanique plus profonde qui se rejoue : celle d’une désinformation douce, d’une mise en scène virale, et d’une instrumentalisation possible par des acteurs étrangers. Une séquence de 4 secondes suffit désormais à fragiliser l’autorité, détourner l’attention publique, ou tester la capacité d’un État à résister à l’emballement numérique.



Une vidéo virale : le pouvoir des récits tronqués


Le 23 mai 2025, à l’occasion d’une visite d’État au Vietnam, Emmanuel Macron est filmé à sa sortie de l’avion présidentiel. À ses côtés, son épouse Brigitte lui adresse un geste rapide au visage. En quelques heures, la vidéo circule massivement sur X (ex-Twitter), TikTok et Instagram, accompagnée de titres accrocheurs : « Brigitte gifle Macron », « altercation sur le tarmac », « la gifle diplomatique ».


Ce type de détournement repose sur une mécanique simple mais puissante : une image réelle, recontextualisée, parfois ralentie, recadrée ou zoomée, puis accompagnée d’un commentaire orienté. Il ne s’agit pas ici d’un deepfake, ni d’une falsification grossière. Il s’agit d’un usage cynique du vrai pour produire du faux.


L’Élysée réagit rapidement, dément toute altercation, et parle d’un « geste banal », d’une « chamaillerie de couple sans gravité ». Emmanuel Macron lui-même dénonce une dérive des réseaux sociaux : « Une scène privée instrumentalisée, encore une fois, pour créer une polémique sans fondement. »



Antécédents : le “sachet de cocaïne” dans le train présidentiel


Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État français se retrouve ciblé par une manipulation d’image à potentiel explosif.


Le 6 mars 2024, un sachet contenant une poudre blanche — rapidement analysée comme de la cocaïne — est retrouvé à bord du train utilisé par Emmanuel Macron pour se rendre à Kyiv. Dans les heures qui suivent, une onde de choc médiatique s’abat : des comptes anonymes sur Telegram et X diffusent des messages affirmant qu’il s’agirait d’une mise en scène ou d’une preuve de consommation par un proche du président.


L’Élysée pointe d’abord du doigt une journaliste française présente à bord (Lilia R.), puis laisse entendre une possible opération d’ingérence russe. Le ministère de l’Intérieur parle alors d’une « hypothèse crédible d’action hostile ». Pourtant, quelques jours plus tard, les autorités reviennent sur ces affirmations, affirmant qu’il n’y a pas de preuve formelle d’une ingérence.


Cet épisode a laissé des traces. Il démontre que les plus hauts sommets de l’État peuvent être déstabilisés par des actes simples, ciblés, portés par des canaux numériques opaques — qu’ils soient organisés ou non par des puissances étrangères.



Le piège stratégique : réagir ou se taire ?


À travers ces deux épisodes, une même question stratégique se pose : comment un État doit-il réagir lorsqu’il est pris dans une spirale de désinformation virale ? En réagissant trop vite, il prend le risque de renforcer la polémique. En ne disant rien, il laisse prospérer les narratifs toxiques.


Dans le cas de la vidéo au Vietnam, la réaction rapide de l’Élysée peut être lue comme une erreur de communication ou comme un réflexe de protection stratégique. Les signaux faibles de l’ingérence sont aujourd’hui tellement diffus, les attaques informationnelles si subtiles, que les autorités se trouvent souvent dans un brouillard décisionnel.


Faut-il accuser tout de suite ? Attendre les preuves ? Communiquer ou laisser filtrer ? La ligne est mince. Et les acteurs hostiles le savent parfaitement.



Ingérence douce, guerre cognitive, et stratégie de l’ambiguïté


Les campagnes d’influence étrangères, notamment russes, n’ont pas besoin de créer des scandales. Il leur suffit souvent d’alimenter des dynamiques existantes : amplifier des doutes, semer la confusion, entretenir les divisions internes, ou pousser à la faute.


Comme le rappelle le Centre européen pour la vigilance stratégique, les opérations russes modernes s’appuient moins sur des actions visibles que sur une “stratégie de l’ambiguïté”. Le flou, le doute, le soupçon sont devenus des armes.


L’objectif n’est pas nécessairement de convaincre, mais de faire douter, de faire perdre du temps, de rendre les institutions vulnérables par l’accumulation de micro-crises.



Sortir de la réaction, construire la résilience


La scène de l’aéroport de Hanoï n’est pas un drame. Elle n’est même pas, en soi, un sujet politique. Mais elle est devenue un symbole de la fragilité de l’espace public face aux dynamiques virales et manipulatoires.


C’est précisément là que les institutions, les médias responsables, les centres de veille comme le nôtre, doivent agir : non pas pour démentir chaque rumeur, mais pour expliquer les mécanismes, déconstruire les logiques, développer la culture de l’analyse critique.


Car au fond, ce n’est pas seulement une image de Macron qui a été détournée. C’est la confiance collective dans l’information qui est, une fois de plus, mise à l’épreuve.

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