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Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition

Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Période : février – mai 2025

Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS)

Thierry-Paul Valette – Fondateur


Période : février – mai 2025  Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS)  Thierry-Paul Valette – Fondateur
Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition

Une guerre sans front mais pas sans feu


Depuis la parution du premier baromètre de l’ingérence étrangère en mars 2025, l’espace informationnel européen n’a connu aucun répit. Bien au contraire, le trimestre écoulé confirme l’aggravation de dynamiques désormais bien établies : fragmentation des récits publics, instrumentalisation de la colère sociale, activation ciblée de communautés numériques, manipulation émotionnelle des jeunesses, campagnes de désinformation pilotées ou relayées par des puissances étrangères. Ce ne sont plus des signaux faibles que nous observons, mais des chaînes opérationnelles actives, persistantes et de mieux en mieux synchronisées.


Dans un contexte d’élections européennes, de tensions géopolitiques à l’Est, de polarisation identitaire et de vulnérabilités internes, les États-nations ne sont plus seuls à défendre la cohérence démocratique. Les plateformes, les médias, les think tanks et les citoyens eux-mêmes sont devenus les champs de bataille d’une guerre sans canon mais non sans danger : celle qui déstabilise les repères, fragilise les consensus, infiltre les représentations collectives.


Ce deuxième baromètre s’inscrit dans la mission du CESS : documenter avec rigueur les dynamiques d’ingérence informationnelle, alerter les institutions, rendre visible l’invisible, et contribuer à renforcer la résilience stratégique de l’Europe face à des formes d’hostilité non conventionnelles mais d’une efficacité redoutable.



État des lieux stratégique du trimestre : intensification, sophistication, diversification


Entre février et mai 2025, les dispositifs d’ingérence ont connu à la fois une montée en intensité, une extension géographique et une diversification méthodologique. Selon les données croisées de Viginum, de l’EU DisinfoLab et du centre hybride d’Helsinki (Hybrid CoE), le nombre d’incidents de désinformation politique ou sociétale identifiés en Europe a augmenté de 31 % par rapport au trimestre précédent. En France, les services de l’État ont recensé 142 opérations informationnelles suspectes, dont une majorité en lien avec les mouvements sociaux, les revendications agricoles et les prises de position sur les conflits extérieurs.


Les élections européennes de juin 2025 ont agi comme un catalyseur. À partir de la mi-mars, des milliers de comptes X, Telegram et TikTok, liés à des fermes à trolls russes, iraniennes ou anonymes, ont relayé des contenus critiquant l’Union, dénigrant les institutions électorales, ou soutenant de façon détournée certains courants eurosceptiques. Une étude conjointe de l’ISD et du Digital Forensic Lab révèle que, sur plus de 12 millions de contenus politiques analysés en avril, 17,4 % provenaient de sources non identifiées ou soupçonnées d’être artificielles.


La désinformation ne se limite pas aux sphères politiques. Le conflit à Gaza a servi de prétexte à plusieurs vagues de propagande, visant à exacerber les tensions communautaires et à présenter l’Europe comme partiale, complice ou impuissante. Dans le même temps, TikTok, qui atteint désormais plus de 65 % des jeunes de 18 à 24 ans en Europe, a vu circuler une augmentation de 49 % de contenus prorusses ou prochinois sur des sujets allant de l’Ukraine à la souveraineté numérique.



Mécanismes de guerre hybride : du ciblage social à la déstabilisation cognitive


Les formes d’ingérence n’ont cessé d’évoluer au cours du trimestre. On observe une consolidation des logiques de guerre hybride, dans lesquelles les récits, les émotions, les micro-influenceurs et les canaux semi-clandestins jouent un rôle stratégique aussi décisif que les actions de cybersabotage.


Le ciblage informationnel s’est étendu aux groupes sociétaux les plus sensibles : agriculteurs en colère, électeurs abstentionnistes, jeunesses précarisées, minorités en quête de reconnaissance. Le discours dominant n’est plus frontalement idéologique, mais insidieusement émotionnel : victimisation, trahison, rejet des élites, appel à la désobéissance numérique.


Dans ce cadre, la guerre cognitive opère de façon plus subtile. Ce ne sont plus seulement les institutions qui sont attaquées, mais la capacité collective de discernement, l’estime des citoyens envers leur propre démocratie, et la crédibilité des médias libres. La fragmentation cognitive est désormais une arme aussi puissante que le piratage informatique ou la corruption.



Zones sensibles : Moldavie, Balkans, Kazakhstan – trois laboratoires de pression géopolitique


La Moldavie constitue sans conteste l’un des foyers les plus exposés du continent. Aux abords de la Transnistrie, l’activisme des relais prorusses s’intensifie, avec plus de 18 000 contenus identifiés comme hostiles à la souveraineté moldave entre février et mai. L’adhésion progressive à l’Union européenne est systématiquement qualifiée de “traîtrise” ou de “soumission”, tandis que les autorités locales sont ciblées par des campagnes de délégitimation, souvent relayées par des médias russes d’influence tels que Sputnik ou Eurasia Today.


Dans les Balkans, la situation reste critique. En Serbie, en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine du Nord, les plateformes Telegram et Facebook sont devenues des centres de diffusion de récits conspirationnistes mêlant anti-européanisme, glorification de la Russie et dénonciation de l’OTAN. Selon Balkan Insight, plus de 72 % des jeunes interrogés dans la région ont été exposés à au moins un contenu désinformant à caractère géopolitique au cours des deux derniers mois.


Quant au Kazakhstan, bien qu’éloigné géographiquement, il est aujourd’hui au cœur de l’équilibre eurasiatique. Lors de la rencontre organisée à l’Assemblée nationale française en avril 2025, en présence de l’ambassadrice et d’experts européens, la question de la souveraineté informationnelle de cet État pivot a été évoquée comme stratégique. Le pays est soumis à des influences croisées – russe, chinoise, européenne – et son positionnement diplomatique constitue une variable clé dans les futurs équilibres d’influence régionale. Plusieurs contenus pro-chinois vantant le modèle sécuritaire de Pékin ont été identifiés dans des cercles universitaires et sur les plateformes techniques kazakhes, dans une logique de soft power algorithmique.



Réponses institutionnelles : des avancées, mais une coordination encore insuffisante


Face à cette montée en puissance de l’ingérence hybride, les institutions européennes et transatlantiques ont engagé plusieurs ripostes. Le service Viginum a publié un rapport d’alerte détaillé indiquant une hausse de 38 % des tentatives de manipulation identifiées en France depuis le début de l’année. La Commission européenne, quant à elle, a activé une série d’injonctions à l’encontre des grandes plateformes sociales dans le cadre du Digital Services Act, menaçant TikTok, X et Telegram de sanctions si elles ne coopéraient pas davantage dans la lutte contre la désinformation organisée.


Le Parlement européen a voté, en avril 2025, une résolution fondatrice appelant à la création d’un Centre Européen pour la Résilience Cognitive, qui pourrait être hébergé en lien avec le Centre d’Helsinki et le StratCom COE de l’OTAN basé à Riga. L’objectif serait d’établir une capacité d’analyse indépendante, réactive, paneuropéenne, capable de cartographier en temps réel les flux d’influence, d’identifier les structures relais, et d’émettre des alertes de niveau stratégique aux gouvernements et aux médias.


L’OTAN, de son côté, a intensifié ses exercices de simulation hybride, et renforcé ses coopérations civiles-militaires sur le front de la guerre cognitive. Un exercice de réponse coordonnée à une attaque informationnelle a été conduit en mars, avec la participation de 17 pays membres, dont les États baltes, l’Allemagne, la France, et plusieurs pays candidats à l’adhésion.



Recommandations stratégiques du CESS


Le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie appelle à la mise en œuvre de cinq mesures immédiates :


1. La création d’un Observatoire indépendant des récits stratégiques hostiles, adossé à des centres civiques comme le CESS, capables de croiser expertise sociale, technologique et diplomatique.

2. L’établissement d’un système d’alerte interinstitutionnel associant les services d’État, les organes de presse, les plateformes, et les ONG certifiées.

3. L’introduction d’un module sur l’ingérence informationnelle dans les cursus universitaires et les formations des élus, en particulier dans les domaines du numérique, de la communication publique et de la géopolitique.

4. Le renforcement du partenariat stratégique UE–OTAN sur la guerre cognitive, avec des exercices conjoints, des partages de données sécurisés, et une doctrine commune.

5. La reconnaissance légale d’un statut public pour les think tanks de sécurité civique, leur permettant d’accéder à des financements stables et d’intervenir auprès des institutions comme interface d’analyse indépendante.



Une alerte pour la souveraineté de demain


Ce deuxième baromètre ne se veut ni alarmiste ni passif. Il s’adresse aux décideurs, aux diplomates, aux journalistes, aux citoyens éclairés. Il leur dit ceci : l’ingérence étrangère n’est pas une hypothèse d’école, c’est une pratique installée, industrialisée, parfois banalisée. Elle vise notre autonomie de jugement, notre mémoire collective, notre pacte démocratique.


À travers ce rapport, le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie poursuit sa mission : résister par la lucidité, agir par la rigueur, alerter sans relâche.



1.Évolution des incidents d’ingérence entre les deux trimestres


Le premier graphique met en évidence l’évolution du nombre total d’incidents recensés

entre le premier baromètre (novembre 2024 – février 2025) et le deuxième (février – mai

2025). Le volume global d’opérations a progressé de 420 à 550 événements identifiés, soit

une hausse de près de 31 %. Cette augmentation s’explique par une intensification de

l’activité informationnelle à l’approche des élections européennes, ainsi que par l’extension

de plusieurs conflits géopolitiques instrumentalisés.


Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition
Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition

2.Comparatif thématique entre les deux baromètres


Le graphique comparatif thématique révèle une hausse de +52 % des campagnes de

désinformation électorale, une augmentation de +32 % des cyberattaques, +31 % des récits

anti-UE, +85 % de la propagande liée à Gaza, et +45 % de la manipulation des colères

sociales. Ces tendances mettent en lumière la sophistication croissante des stratégies

d’ingérence.


Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition
Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition


3.Plateformes et territorialisation des menaces


L’analyse visuelle de l’activité sur TikTok, X/Twitter et Telegram montre une montée en

puissance de ces vecteurs. TikTok enregistre une hausse de 42 % d’activités d’influence,

principalement auprès des jeunesses européennes. Telegram devient un canal structuré de

diffusion parallèle. Le Kazakhstan, la Moldavie, les Balkans, la France, et les Pays baltes

apparaissent comme les zones de plus haute exposition stratégique à l’ingérence hybride au

printemps 2025.


Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition
Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe – 2ᵉ édition

L'ensemble de ces graphiques complète le rapport stratégique du Baromètre n°2. Ils offrent un appui visuel indispensable pour la compréhension, la communication et la diffusion de l'analyse produite par le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie. Ces indicateurs sont conçus pour être intégrés dans les travaux parlementaires, les briefings diplomatiques et les dispositifs européens de résilience démocratique


Note Graphique – Baromètre n°2 de l’Ingérence Étrangère en Europe



La prochaine édition paraîtra en septembre 2025.


Le Baromètre trimestriel de l’ingérence étrangère en Europe est une publication originale conçue, structurée et rédigée par le Centre Européen de Sécurité et de Stratégie (CESS).

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